chronique haïku 13

Elle rôde, s’insinue, s’immisce à pas lents ou, soudain, s’impose avec violence dans nos existences pulvérisées. Elle ? la Mort, cette Camarde si bien moquée par le troubadour Brassens et que nous prenons parti, le plus souvent, d’ignorer. La nôtre, in-envisageable, pour un rendez-vous dont nous ne savons ni le jour ni l’heure. Ou celle des autres, que nous voudrions ne pas voir. Dès lors, quoi de mieux que l’écriture pour affronter cette disgrâce inévitable? Après tout, ”comme elle est vaine la vie qui ne sait pas qu’elle va passer” nous rappelle Etienne Orsini dans son dernier opus, “Homme de peu de poids”, fin tissage entre textes de réflexions sur la mort et haïkus.

Memento mori

Un beau titre pour dire les parades de toutes sortes que nous engage à imaginer cette mort si repoussante. Corse d’origine, le poète, lui, la fréquente de près dans son village où elle laisse des traces perpétuelles

Caveau de famille

Bien enfouies les racines

Dont tu es l’arbre


Le jour des défunts

Un grand nuage qui dévore

Tout le bleu du ciel


Mais de manière générale, on ne veut la voir que de très loin. Ou alors dans des jours précis, bien cernés, des faits divers à commenter avec distance, avec cette mort d’inconnus qui nous concerne le moins possible…et parfois même, elle n’est pas si pénible, quand on a le sentiment que ceux qui partent ont bien vécu

Memento mori

Sur la porte du frigo

Un simple post it


Avant de partir

Ecouter une dernière fois

La mer dans tes yeux

haïbun mortel

         La force de recueil vient d’une belle tension entre des réflexions amusées, parfois ironiques, à visée presque sociétale, et des haïkus qui “ramassent” la pensée de l’impensable. En ce sens, c’est un haïbun de voyage intérieur –ceux de Bashö traitaient de périples dans le monde-  qui nous est offert.

         Il nous permet d’explorer sous tous les angles, légers ou plus tristes, ce sujet qu’on écarterait volontiers de la main, alors que la conscience de la mort fonde notre goût de vivre.

Pour Etienne Orsini, il y a un privilège de l’âge et de l’expérience de la vie, cette compréhension si longtemps ignorée : “nous ne sommes qu’instants dans l’escarcelle de l’Eternel”. Une réalité que chaque haïku, dans sa brièveté même, vient nous rappeler :

Cinq sept cinq…Dix sept

Et puis c’est fini la vie

Memento mori


Et d’insister : 

“Qu’on se le dise, la mort ne peut être ignorée, dépassée boudée. Elle demande une attention de chaque instant”.

Cendres dispersées

Manque de concentration

Disait ton carnet


Début de l’automne

Pour chaque feuille qui meurt

Une résurrection

la mort certes, mais le deuil….

On ne peut alors que penser à l’art du jisei, ces haïkus ultimes que tout poète haïkiste se devait de composer pour achever le deuil de soi que le bouddhisme zen invite à travailler tout au long de sa vie.

Terre et métal…

bien que ma respiration s’arrête

temps et marée continuent

Atsujin


Le chemin du paradis

est pavé de clairs

pétales de pruniers

Masumi Kato[1]


Le deuil de soi, certes, peut se concevoir. Mais le deuil de ceux qu’on aime ? Comme l’écrit Etienne Orsini “le deuil, c’est un bagne que n’entoure aucune forêt équatoriale”.

Il en sait quelque chose, lui qui nous confie sobrement son épreuve. Alors que ce poète s’était donné pour tâche, en rassemblant ces quelques textes et réflexions, de rappeler le memento mori , l’inconcevable de l’inconcevable qu’il fréquentait depuis quelques mois s’est imposé : “trois mots pleurés au téléphone et mon fils a vécu” écrit-il d’une belle écriture feutrée.

Décidément, la camarde voudrait toujours avoir le dernier mot.

Ici, avec Etienne Orsini, nous pouvons l’en empêcher

Le vieil étang

Une grenouille se meurt

Le non-bruit de l’eau


Etienne Orsini, Homme de peu de poids, éditions Via Domitia, 2022, 15 euros

A commander ici

[1] Jisei traduits pas Daniel Py et tirés du livre JAPANESE DEATH POEMS : Yoël Hoffmann, Ed. Tuttle, 1986.


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Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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