chronique haïku 14

fragments de présence

Est-ce parce qu’il est un méditant assidu (Richard Breitner est instructeur en méditation de pleine conscience) ? Beaucoup de haïkus de son premier recueil – qui contient aussi quelques rares tankas – sont des “fragments de pure présence”, comme il les présente lui-même. De purs instants de conscience, pourrait-on ajouter. Et qui nous rappellent les liens ténus, irrévocables, originaires, entre pratique zen et poésie haïku.

Une spécificité qu’on donne aux haïkus en général, les plus réussis, ceux qui parviennent à la fois à capter l’immédiateté et la couleur d’une situation, tout en exprimant sans emphase la résonance que ce micro-événement a sur le haïjin.

D’ailleurs le recueil est scindé en trois parties qui nous rappellent combien l’art poétique haïku dévoile à la fois le rapport du poète au monde dit “extérieur”, et travaille aussi sur l’intériorité. Celle de l’auteur, mais aussi celle de son lecteur.

Saisonnalité

Dans une première partie – saisons qui portez tout ! – Richard Breitner montre un certain respect à la forme classique, qu’il maîtrise, notamment au travers du kigo

mirabelles-

embrasser l’été

sur la bouche


rentrée des classes-

le chien seul au jardin

incrédule

Un certain classicisme, aussi, ces coups de chapeau à la matrice 5/7/5 d’où tout part  et dont on devine que le haïjin a la maitrise – il écrit des haïkus depuis vingt-cinq ans- mais dont il sait aussi se libérer quand l’esprit du nano-poème s’impose.

équinoxe

sur le pas de la porte

une araignée hésite


tout en haut de l’arbre

une cerise oubliée

se fait toute petite

 Humanités

Richard Breitner nous entraîne ensuite dans le monde parfois cocasse des humains, et c’est alors une partie appelée urbanités. Le focus se resserre ici sur nos comportements parfois erratiques et amusants. Là les haïkus deviennent senryu, autorisant des formes plus audacieuses…

cabinet médical-

le docteur reçoit-il ce soir ?

-non, il est malade


Dia duit !

les Irlandaises disent bonjour

comme des mésanges !

         Particulièrement réussis, ces haïkus urbains qui n’entravent pas la subtilité poétique :

nuit d’octobre –

sur le trottoir un homme seul

discute avec la lune


soir d’été –

le soleil et l’ami

sur le balcon s’attardent

Intériorité

         De ce recueil réussi, nous goûtons particulièrement la dernière partie, celle où le haïjin nous fait entrer en résonance avec la vie intérieure. Les haïkus prennent alors une dimension sensorielle et existentielle des plus inspirantes

matin de septembre

au ciel transparent j’accorde

la couleur de mon âme


par hasard

apprenant la mort d’un ami

crépuscule d’automne


la journée s’étire-

au bal des araignées d’eau

mon reflet s’invite

Une belle transparence émane de cette poésie. Celle des nuages qui, contemplés d’en bas, font aussi bouger ceux qui nous habitent.

Richard Breitner, “ La sauterelle sur un piment vert ” , Encres de Shuang Gao

Editions Via Domitia, février 23 . A commander ici

13 euros, 84 pages

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Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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