Pas facile d’être une haijine, ou « poète de haïku » comme dit l’ami Christophe Jubien, qui s’y connaît lui en haïkus et aussi en toutes sortes de poésies. Car l’apparence même du 17 syllabes est trompeuse. Sa taille, si insignifiante, le fait passer pour un nain, ou une réduction de poème comme il y a des réducteurs de tête. Donc celui qui s’y adonne est certainement dans une écriture du « pis aller », pense- t-on.
écrire des « moins que rien » ?
Comment peut-on avoir envie de « faire la fête dans un confetti » selon le belle expression du critique Jérome David, si ce n’est parce qu’on n’arrive tout simplement pas à écrire long, intense, militant, rageur, rimé, rythmique, engagé, symbolique dans l’esprit de Claudel ou surréaliste dans l’esprit de Breton ainsi que l’ensemble du petit- monde- des poètes- français y invite ?
« Poètes, vos papiers ! Pourquoi se tourner vers une minuscule afféterie, de surcroît japonaise ? ».
Je me le suis demandé. Et c’est seulement après une douzaine d’années de pratique que je peux commencer à y répondre. Même si tout cela, comme dans une passion amoureuse, s’est fait à mon insu, inconsciemment, sans raison.
enfin un langage neuf
Je crois que j’avais besoin d’un langage « autre », radicalement autre au moment où j’ai rencontré le haïku. Pendant un temps la poésie de mon adolescence (Antonin Artaud, Verlaine…) m’avait apaisée, donné l’impression que j’appartenais, grâce à quelques-uns comme eux, à ce monde. Les pop songs d’outre Atlantique à l’adolescence avaient aussi calmé mon cœur…
Old man
Look at my life
I’m a lot like you were…
Puis une bifurcation vers la psychanalyse, les associations libres, l’écoute flottante m’avaient abreuvée en paroles différentes, sur un autre plan, comme étrangères au réel, et pourtant si vraies.
…dans un monde bavard
Pendant ce temps-là le monde parlait, de plus en plus, sur de plus en plus de supports. Le blabla général, sur les RS, les plate- formes, les forums, les tchat, les actualisé en continu…se dilatait, s’auto alimentant de formules toutes faites, déjà entendues mille fois, re-digérées pour avoir l’air de sortir d’un cocon neuf alors qu’elles étaient outre-utilisées partout.
Des exemples ? « stigmatiser », « cocher toutes les cases », « sortir de sa zone de confort », « diversité », bienveillance »….des mots vidés peu à peu de leur substance, désséchés, lyophilisés comme la peau d’une influenceuse sur Instagram. des redites, des termes employés à tout va, la déconnexion avec le réel, le palpable, le sensoriel…
Même les mots libérateurs de la psychologie ou de la psychanalyse, cette « autre poésie », s’en trouvaient labellisés, « marketingués », récupérés : “l’estime de soi » , la pourtant si belle « résilience » et autre « zen » devenaient des marques de marché, des mots employés à tu et à toi sans que ceux qui les employaient cherchent même à connaître leur sens profond.
J’étais perdue, absente à tout travail du langage qui m’aurait encore portée, inspirée.
la fraîcheur enfin !
Et puis j’ai eu de la chance. Après des mois d’approche de recueils et d’anthologies restant assez hermétiques pour moi qu’on n’avait pas initiée, quelques lignes de Santoka m’ont percutée
me voici
là où le bleu de la mer
est sans limite
J’ai alors compris, en une seconde, en un « flash » comme dit Roland Barthes, qu’en ne disant pas tout j’apprendrai à tout ressentir.
En me délestant de mots inutiles j’ai peu à peu mesuré la puissance de mots anodins, qu’on ne remarque plus et qui pourtant m’ancraient dans un réel où je me sentais bien.
Désormais, quand je dis « rivière » ou « véranda » ou « laurier-cerise » et même « sentier glacé » ou « fin d’automne » je vibre d’un feu qui est source de jouvence.
Et pour ne pas qu’ils s’annulent les uns les autres, j’en viens à travailler ces mots, leur agencement. Choisir ceux qui resteront pour diffuser ce que j’éprouve, dire la vérité de ce que j’ai vu, croisé dans ma journée, et enlever ceux qui prennent trop de place et masquent l’inspiration. Tel est le travail de « poète de haïkus ».
Aimer tisser le peu
C’est un travail de broderie le haïku. Du point de croix dans une chambre solitaire qu’on a le plaisir ensuite de goûter avec d’autres.
Aussi suis-je tellement triste quand je vois proliférer sur la toile des tercets abstraits, des vers métaphoriques et ampoulés de calembours, ou des préceptes à deux balles qui se disent « haïkus ».
Mais cela c’est un autre sujet….à venir sans doute prochainement, si vous en avez envie.
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