Il est rare, dans des recueils poétiques, de rencontrer des corps. Bien sûr, on y trouve des sensations, des émotions, des frissons, mais au fond peu d’êtres réellement incarnés. Des hommes et des femmes de chair et d’os peuvent-ils devenir des sujets poétiques ? Oui, si l’on en croit le dernier recueil entre prose, poésie en vers libres et haïkus de Bernard Dato. Tenez…
Lui il offre au regard son dos longiligne
Aux muscles qui roulent,
Houle, houle des champs de blés blancs
Sous le souffle chaud du vent des terres,
Lui il jette en arrière sa tête,
Alors sa chevelure, vaguelettes à l’écume blanche,
S’écoule le long de la colonne vertébrale,
Jusqu’à la ceinture en cuir
Rouge
De son jeans bas sur ses fesses qui rouent,
Houle, houle
(…)
des trips visuels et sonores
J’ai pensé à Jim Morrison en lisant ces vers, à la sensualité sauvage des corps qui dansent. Normal, Bernard Dato, outre qu’il est poète et “écrivain de kiosque ” comme ce Carcassonnais aime à se définir, est aussi préparateur de body-builders, fan de super héros, et …musicien. Ceci explique tout cela : la musicalité de ses vers, qui emportent dans un trip à la fois visuel et sonore, les références au cinéma (David Lynch semble là à chaque coin de scène poétique), et “le seul bleu qu’autorise la Nuit” résonne de blues à la manière d’un LP de Miles Davis.
des poèmes-scènes
chaque poème du recueil agit comme une scène de film, et chaque personnage s’impose par touches impressionnistes. On ne sait pas tout, on ne comprend pas tout, sinon qu’il y a un homme, une femme, et un homme qui regarde ce couple.
Ils courent, ils se lavent, ils s’aiment, se perdent, ils arpentent une ville comme fantomatique, perçue seulement à travers klaxons et bruits du chemin de fer…
des haïkus d’apaisement
le lecteur se retrouve ainsi pris dans une histoire qui le dépasse, un film au rythme enlevé, proche du rêve, qui se nourrit aussi d’une poésie végétale directement inspirée de l’œuvre de la Nobelisée Louise Glück, mais aussi de Raymond Carver, que Bernard Dato aime tant.
En contrepoint de ce foisonnement, un haïku vient ponctuer chaque long poème en vers libres. L’effet rassérénant du nano-poème s’impose, comme une résolution, une fin de partie qu’on ne voudrait pas clore brutalement
présence –
au fil de mes pas
les arbres cachent la maison
orage sec-
la foudre s’abat
et fait de mon rêve une écume
Qui rêve ? Le poète ou le lecteur qui “tripe”, emporté par ces rivières de mots ? En tout cas, le feu de Bernard Dato continue de brûler longtemps après que le recueil ait été consumé. Mention spéciale pour la magnifique couverture de Aude Guerreau. Voyage garanti !
Bernard Dato, “le seul bleu qu’autorise La Nuit”, éditions Via Domitia, 15 euros ; A commander ici . Chez le même éditeur, ses deux précédents recueils : “Braises” et “Toute cette rouille”
A écouter aussi : Bernard Dato nous parle haïku, philosophie et lit ses poèmes dans notre podcast “17 syllabes”
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