fragments de présence
Est-ce parce qu’il est un méditant assidu (Richard Breitner est instructeur en méditation de pleine conscience) ? Beaucoup de haïkus de son premier recueil – qui contient aussi quelques rares tankas – sont des “fragments de pure présence”, comme il les présente lui-même. De purs instants de conscience, pourrait-on ajouter. Et qui nous rappellent les liens ténus, irrévocables, originaires, entre pratique zen et poésie haïku.
Une spécificité qu’on donne aux haïkus en général, les plus réussis, ceux qui parviennent à la fois à capter l’immédiateté et la couleur d’une situation, tout en exprimant sans emphase la résonance que ce micro-événement a sur le haïjin.
D’ailleurs le recueil est scindé en trois parties qui nous rappellent combien l’art poétique haïku dévoile à la fois le rapport du poète au monde dit “extérieur”, et travaille aussi sur l’intériorité. Celle de l’auteur, mais aussi celle de son lecteur.
Saisonnalité
Dans une première partie – saisons qui portez tout ! – Richard Breitner montre un certain respect à la forme classique, qu’il maîtrise, notamment au travers du kigo
mirabelles-
embrasser l’été
sur la bouche
rentrée des classes-
le chien seul au jardin
incrédule
Un certain classicisme, aussi, ces coups de chapeau à la matrice 5/7/5 d’où tout part et dont on devine que le haïjin a la maitrise – il écrit des haïkus depuis vingt-cinq ans- mais dont il sait aussi se libérer quand l’esprit du nano-poème s’impose.
équinoxe
sur le pas de la porte
une araignée hésite
tout en haut de l’arbre
une cerise oubliée
se fait toute petite
Humanités
Richard Breitner nous entraîne ensuite dans le monde parfois cocasse des humains, et c’est alors une partie appelée urbanités. Le focus se resserre ici sur nos comportements parfois erratiques et amusants. Là les haïkus deviennent senryu, autorisant des formes plus audacieuses…
cabinet médical-
le docteur reçoit-il ce soir ?
-non, il est malade
Dia duit !
les Irlandaises disent bonjour
comme des mésanges !
Particulièrement réussis, ces haïkus urbains qui n’entravent pas la subtilité poétique :
nuit d’octobre –
sur le trottoir un homme seul
discute avec la lune
soir d’été –
le soleil et l’ami
sur le balcon s’attardent
Intériorité
De ce recueil réussi, nous goûtons particulièrement la dernière partie, celle où le haïjin nous fait entrer en résonance avec la vie intérieure. Les haïkus prennent alors une dimension sensorielle et existentielle des plus inspirantes
matin de septembre
au ciel transparent j’accorde
la couleur de mon âme
par hasard
apprenant la mort d’un ami
crépuscule d’automne
la journée s’étire-
au bal des araignées d’eau
mon reflet s’invite
Une belle transparence émane de cette poésie. Celle des nuages qui, contemplés d’en bas, font aussi bouger ceux qui nous habitent.
Richard Breitner, “ La sauterelle sur un piment vert ” , Encres de Shuang Gao
Editions Via Domitia, février 23 . A commander ici
13 euros, 84 pages
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