Comme il me parle, en ce jour de froid cinglant et d’ hiver persistant, ce haïku d’ Hosaî :
une journée sans un mot –
j’ai montré l’ombre
d’un papillon[1]
Il définit si bien la posture du haijin, poète de l’éphémère qui s’emplit de beauté passagère et supporte ainsi la fragilité du monde.…ou sa brutalité.
Regarde ce qui est beau !
On ne saurait mieux dire : l’émerveillement nous sauve.
Lorsque je repense à mes premières lectures de poésie haïku, si déconcertantes, je me revois recevant pleine face ces nano-poèmes épurés au point de ne laisser entrevoir que l’objet admiré par l’auteur, dans un simple constat
la fleur de camélia
tout en blancheur
épanouie
Onitsura[2]
Ou celui-ci, de Chiyo Ni
ah la bise d’hiver !
soudain dans une accalmie
la lune sur l’eau[3]
les haïkus ne sont alors que monstration, leurs auteurs se contentant presque de nous chuchoter un seul mot : « regarde ! ».
apprend à goûter !
Ce simple geste, et pourtant si puissant, si radical, est ce qui m’a emportée dans l’amour de cette poésie. Moi qui vis dans une terre où l’on a à cœur de juger, critiquer, discuter ce qui est, ce fut un véritable apprentissage qui se fit au long de ces lectures d’enthousiastes.
Oui , d’une certaine manière je suis devenue une “ravie de la crèche ” et je ne m’en plains pas. J’assume, je revendique même !
Avec la nano-poésie j’ai réappris à contempler, goûter, sentir, toucher…entrer pleinement dans la vie, en fait.
Cela ne signifie pas que tout soit merveilleux. Mais que le peu qu’il nous est donné d’apprécier (la beauté des végétaux, le cycle des saisons, les effets de lumière sur l’océan ou la montagne, la tendresse d’un geste…) mérite de l’être à cent pour cent. Sans réserve. Car cela ne durera pas.
Je marche dans le Parc sous des arbres noirs dénudés, et soudain j’aperçois quelques touches de couleurs dans l’herbe :
froid cinglant-
les crocus au pied des arbres
me font signe
Oui, j’ai une furieuse envie de le crier au monde.
partage ton émotion la plus intime !
Aussi, à force de lire de ces haïkus d’émerveillement, je me sens reliée à l’émotion de ceux qui se donnent la peine de transmettre cette part si intime d’eux-mêmes :
retour de balade
accroché dans mes cheveux
le soleil encore
Pascale Dehoux[4]
perdu dans mes pensées –
le bruit des vagues
absorbe la brume
Bernard Dato
C’est alors notre émerveillement d’être si humains, ensemble, dans cette vie incompréhensible, que je crois reconnaître. C’est pour tout cela, me semble-t-il, que le « haïku writing », malgré les clans qu’on y perçoit, est envers et contre tout une écriture de la fraternité.
[1] traduit par Corinne Atlan et Zéno Bianu, est paru dans “L’anthologie du poème court japonais ” aux éditions Gallimard.
[2] Traduit par Vincent Brochard , In “L’Art du Haiku”, Belfond 2009
[3] traduit par Grace Keiko et Monique Leroux Serres dans “Chiyo-Ni, une femme éprise de poésie ” (ed Pippa)
[4] in “Les heures lentes ”, éditions Via Domitia
Eloge de l’Emerveillement. il n’y a pas de meilleur titre possible.
ah merci Francis! si peu courant, dans nos contrées
Merci pour cet haïku du crocus… que j’ai découvert ce matin au pied de mon cerisier du Japon… un signe
Oui les crocus sont bavards en ce moment ((: