En juin dernier, avec la complicité du groupe Coucou du Haïku et de son administratrice Marie-Alice Maire, j’ai proposé aux poètes d’explorer en haïkus la fugacité, l’éphémère, l’immédiateté du vivant, l’évanescent, le fuyant… 176 haïkus, tous plus forts les uns que les autres, nous ont été envoyés. Voici la sélection que j’en ai faite, le cœur lourd de devoir choisir. Si l’éphémère est le thème du prochain Printemps des Poètes , nul doute que la poésie haïku devrait y avoir une grande place !
Simplicité et…sensorialité
“Je savais que c’était un thème difficile. Moi-même, dans mes haïkus patauds, ce qui m’est le plus compliqué est de restituer la fugacité d’une situation, d’un « insight » comme on dit, l’apogée de l’instantané…Alors vous m’avez épatée !
…j’ai d’abord écarté ceux qui expliquaient l’éphémère au lieu de le montrer, ou qui “métaphorisaient” et “poétisaient trop” ; me sont alors restés 58 haïkus
Première constatation : les haïkus réussis sont souvent de“ petites bombes sensorielles ” et pour attraper l’instant, par définition irrattrapable, il nous faut d’abord nous appuyer sur nos 5 sens. C’est pour cela que lire des haïkus peut donner la sensation d’être plus vivant !
D’abord, la fête de l’odorat, comme dans ceux-ci, si puissants
loin de lui ce soir
je croise son parfum –
cyprès bleu
Flo Fabrice Farque
bourrasque
le parfum du tilleul
m’emporte
Sylviane Donnio
Puis, c’est le toucher qui s’ impose , avec ceux-ci qui viennent effleurer notre peau
baiser posé ~
le gloss de ses lèvres
déjà ailleurs
Benoit Robail
brise légère
dans mon décolleté
un pétale de rose
Françoise Deniaud-Lelièvre
Nous pouvons aussi, pour saisir l’instant, ouvrir grand nos yeux et enfin percevoir ce que beaucoup ne savent plus voir. J’ai aimé que ces haïkus m’aident à regarder autrement
autour de la fontaine
un jet d’eau
sur les visages
Olfa Kchouk Bouhadida
Évaporée
la buée sur mon miroir-
seule une goutte
Martine le Normand
un martinet!
resté au bout de mon doigt
le nuage
Virginie Colpart
Visions du ciel
Ah le ciel, oui le ciel ! comme il est inspirant pour les haijins attentifs…ou rêveurs. C’est là que tout peut arriver :
hamac~
une mouette passe
entre deux nuages
Francoise Maurice
BBQ party –
les escarbilles
à l’assaut des étoiles
Michel Duflo
le temps d’un vœu
elle glisse dans le ciel
l’étoile filante
Marie Yannick Combeau
querelle d’amants
un arc-en-ciel suspend
les reproches
Philippe Macé
cache-cache
entre deux nuages
un peu d’été
Nadège Vexlard
Et puis, l’ouie : entendre, discerner, capter les sons de la nature, la musique réussie ou gênante de ceux qui vivent près de nous…Comme vous l’avez bien transmis !
de sa bouche s’échappent
les grappes de bulles
Jeanine Chalmeton
nuit noire d’été –
des coups de pétard effraient
un chien et moi
Anne Dealbert
le voisin éteint
puis rallume sa tondeuse –
chant du rossignol
Sebastien Revon
Si le goût vous a moins inspiré, deux haïkus au moins m’ont fait saliver :
fête foraine
sur la langue déjà fondue
la barbe à papa
Evelyne Béliard
craquement –
sous le soleil brûlant
la première glace
Anne-Isabelle Quelderie
Lorsque tous ces sens sont réunis, lorsque nous sommes plus vivants, nous captons les changements les plus subtils, comme dans ces haïkus attentifs à l’autre
étoile filante
dans tes yeux sombres
une étincelle
Katie Chtg
une inspiration
vite effacée l’ombre
dans ses yeux
Marie France Evrard
Peu à peu s’imposent alors les haïkus qui ouvrent une fenêtre en nous. Parmi mes préférés pour leur force d’inspiration
Attrape rêves
sur la balançoire
la fillette touche le ciel
Annie Rozeron
légère brise ~
les akènes de pissenlit
emportent mon rêve
Marie-Alice Maire
arbres à papillons –
à tour de rôle
des ailes se posent
Mireille Peret
Fragments de lumière
se souvenir d’elle
puis ne plus s’en rappeler –
lueur de chandelle
Diane Descoteaux
Là où cela vit davantage, la lumière s’impose en effet. Une lumière qui me réjouit dans ces haïkus si subtils :
vitrail d’église
le soleil
fleurit la fougère
Agnes Malgras
Berges de la mare –
du héron seulement reste
un reflet
Frédérique Sandot
Car effectivement, le vivant, le fugace, le changeant, s’il est toujours en fuite, comme nous le rappelle ce haïku ciselé à point,
parti loin
sans se retourner
~ l’instant
Jean-luc Werpin
le « fuyant » ouvre un magnifique espace de rêverie. C’est ce que j’aime particulièrement dans ces deux derniers, pourtant si simples me direz vous, ou « justement si simples et épurés » : ils m’ont portée pendant quelques jours… peut-être parce que ce qu’ils racontent, sans trop en dire, je l’ai vécu ?
ciel gris
un instant suspendu
son regard à la fenêtre
isabelle Férandin
croisement de métros
ses cheveux noirs
à la station Anvers
Jacques Quach
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