De décembre 2022 à l’été 2025, j’ai célébré chaque solstice avec une chronique haïku dans Les carnets du yoga, formidable publication trimestrielle de l’École Française de Yoga, sise rue Aubriot à Paris. Voici l’ensemble de ces chroniques, apparaissant ici par saison.
automne 2023
Dès le 15 août, la plénitude de l’été s’étant effritée, nous sommes entrés dans un entre deux. La période automnale, saison intermédiaire comme le printemps, est clivée, et nos états d’âme aussi ! D’un côté, l’émerveillement : c’est le temps des plus belles balades en forêt. Entamant leur dernière danse, les feuilles prennent des couleurs intenses ; la lumière s’adoucit jusqu’à dorer nos après-midi pourtant refroidies. De l’autre côté, la nostalgie. Car, oui, les beaux jours sont derrière nous et les fêtes qui s’annoncent seront consacrées à nos morts. Dans l’esthétique japonaise et la poésie haïku, il s’agit alors de goûter au wabi-sabi et à sa beauté paradoxale : patine, austérité, belle solitude, présence des choses vieillissantes ou passées ; quand vie et mort sont à ce point imbriquées, il y a de quoi vaciller. Pourtant, cette instabilité créatrice nous incite à voir encore davantage les instants précieux et le passage du temps. Comment ne pas l’aimer ?
fin du jour –
le caryer jaunissant
a rajeuni
nuit noire
sur mes doigts je compte ceux
qui me survivront
douceurs d’automne –
l’envol de quelques feuilles
vers une poussette
automne 2024
À quoi se raccrocher quand tout se transforme et meurt à nouveau ? À qui attribuer les merveilles colorées transfigurant de rouge, grenat et orangé les feuilles vieillissantes ? Tant de questions nous viennent lorsque nous marchons sous les érables, caryers et marronniers qui rayonnent encore un peu avant de se retrouver glabres. Au Japon, on vénère le komorebi, contemplation de la lumière à travers les feuilles des arbres… Mais quels messages lire aussi dans la calligraphie mystérieuse des branches nues ? Au milieu d’un ciel vide, les ramées tiennent lieu de langage. Elles nous racontent des histoires de vie, d’espoir et de pertes. Étrangement stables dans leurs ramifications mêmes, et malgré les montées ou pertes de sèves qui les tordent, les branches de toutes sortes nous rassurent : même mortes, elles pourront encore allumer le feu.
récital de luth –
aux fenêtres les branches
en cadence
matin de soleil
les feuilles rousses s’accrochent
au ciel
sous les branches
du châtaignier jaunissant
un dernier baiser
Chronique et haïkus de Pascale Senk parus dans Les carnets du yoga, publication trimestrielle de l’École Française de Yoga.