Il y a deux ou trois ans, l’auteur Pierre Reboul a eu la bonne idée de m’envoyer sa petite encyclopédie “ Un désir de haïku”, alors éditée à compte d’auteur. Cet ouvrage est vite devenu l’un des essais sur le nano-poème que je préfère, celui vers lequel je reviens le plus . Sa profondeur, sa précision et son humilité m’aident souvent dans mon exploration de cet art poétique à la fois si simple et si complexe.
Aujourd’hui, bonne nouvelle, ce texte ressort, publié dans la belle collection dédiée à l’Asie, Le Prunier chez Sully, avec une préface de Pierre Crépon, grand pratiquant du zen. Il devrait passionner tous ceux qui s’intéressent à l’esprit du haïku autant qu’à sa composition, car il est avant tout passeur d‘une passion éclairée.
une théorie toujours habitée
Construit avec rigueur, en courtes séquences qui déclinent d’abord tout l’aspect formel du haïku, (“envie de composer des haïkus ”, “forme”, “composition en images”, “rôle du mot de saison…”) le traité de Pierre Reboul pose les jalons sans jamais déborder d’expertise ou de technicité.
Ici, ces aspects formels se suivent dans la fluidité. On sent que l’auteur est d’abord un amoureux du haïku, qu’il le pratique, et ne peut dissocier la théorie de son engouement personnel. Jamais intellectualisant, jamais péremptoire, l’auteur transmet une compréhension sensible du haïku. Il laisse passer tant de son désir et de son respect pour cette petite poésie, que le lecteur, même novice, ne peut qu’en être touché.
des haïkus de qualité
D’ailleurs, le texte de Pierre Reboul est entremêlé de ses propres haïkus qui viennent entrer ainsi en résonance avec les points théoriques évoqués. Ils font mieux qu’illustrer cette théorie, ils la vitalisent.
Ainsi, évoquant la simplicité de vocabulaire du haïku, qui au départ ne fait que décrire, au lieu d’expliquer, celui-ci
rieuse et fessue
la lune
du printemps
ou, sur la juxtaposition d’images :
nuit d’été
au loin très loin
des chiens dialoguent
des appuis spirituels et littéraires
Jamais dogmatique, cette petite encyclopédie du haïku est cependant nourrie des socles traditionnels et littéraires de cet art poétique.
Pierre Reboul a rencontré le haïku dans les années 60 à travers ses lectures d’Alan Watts, qui fit connaître le zen Outre – Atlantique. Ce sont donc les influences shintoïstes et bouddhistes qui pour lui fondent l’ADN premier du haïku, même s’il rappelle l’origine littéraire du petit tercet dans le renku.
Insufflant à son texte les citations les plus éclairantes et les plus variées de Bashô, H.R.Blyth ou Alain Kervern –sa bibliographie est exemplaire – l’auteur semble nous offrir le « caviar » dont nous avons besoin pour avancer dans cette voie complexe et rafraichissante à la fois. Et, dans la marge, les kanjis d’Ophélie Courbaron ajoutent de la beauté à cette sensation.
une véritable saisie de “l’esprit haïku”
Mais ce que j’aime par dessus tout dans cet essai, ce qui m’est toujours le plus utile pour progresser, est ce que Pierre Reboul nomme « la palette », au dernier chapitre : son exploration personnelle et profonde des sentiments si subtils qui animent l’âme de tout haïku réussi. Aware, wabi, kietsu,yubi…Tous ces concepts de l’esthétique japonaise sont enfin, ici, précisément visités. On mesure alors leur portée universelle, si précieuse pour tout poète, quelle que soit sa culture d’origine.
le shasei, par exemple, cette capacité à saisir les choses sur le vif , dans leur réalité toute crue
répandus sur la neige
les os blancs
d’un corbeau
Ajoutez à cette connaissance sensible la grande humilité de l’auteur, et vous aurez l’un des essais sur le haïku les plus précieux du moment. A lui qui a écrit sur la couverture de son ouvrage “dîtes leur que j’étais amateur de haïkus et rien de plus”, on a envie de répondre : “oui, un amateur seulement, mais un amateur généreux et raffiné !” Ce n’est pas si courant.
Pierre Reboul, “un désir de haÏku, une petite encyclopédie ”, coll Le Prunier, éditions Sully, mai22, 14 euros.
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