Généralement, quand je dis que je me passionne pour la poésie haïku, la première question qui m’arrive est « Vous parlez japonais ? ». A cela je réponds : « malheureusement , pas encore ». Puis je précise qu’il existe des haïkus anglais, italiens, roumains, tunisiens…et qu’en fait l’universalité de ce petit format est stupéfiante. Le plus souvent, je lis une immense surprise dans l’œil de mon interlocuteur.
l’ âme japonaise
Certes la source profonde du haïku est japonaise. Son âme, son esprit, son inspiration s’appuient sur le rythme de la langue japonaise, sur la philosophie taoïste et bouddhiste qui imprégnaient l’archipel au moment de sa création (entre le XIVè et le XVIIè siècle), sur l’amour du vivant- une passion radicale- né de l’animisme rivé à la culture nippone. Tout .e « haijin.e » – personne qui écrit des haïkus- se doit de bien connaître ces codes, comme un solfège incontournable pour pouvoir jouer de cette musique-là. `
Lire régulièrement les joyaux des maîtres classiques japonais fait partie de la pratique. Etudier leurs parcours, leurs styles s’impose presque naturellement à celui qui est intrigué par une forme si éloignée de sa propre poésie.
world haïkus
Mais aujourd’hui, la matrice « haïku » s’est diffusée dans le monde entier. Sur internet, on peut désormais lire des nano-poèmes de toutes origines. Et il me semble même que ceux-ci, lorsqu’ils ne se limitent pas à être une imitation des haïkus japonais, trouvent leur propre couleur, parviennent à distiller l’âme de leur propre culture en 3 lignes. Il y aurait – énorme travail !- une étude comparative à faire de la poésie haïku selon ses terres d’origine.
A force d’en lire, il me semble déjà pouvoir amorcer quelques pistes. Ces propositions n’ont rien de scientifiques, elles restent superficielles, subjectives, mais dessinent quelques tendances, me semblent-ils, des couleurs, des climats qui peu à peu imprègnent l’esprit du lecteur. Pour ma part, voilà ce que je ressens:
Des notations à la fois sur le fond et la forme, telle que la langue originelle me la laisse apparaître.
différentes couleurs
haïku français
Plutôt cérébral, métaphorique, souvent amené à faire « poétique »; Amoureux des jeux de mots ou de mots abstraits pour faire sourire son lecteur
billet d’amitié ―
deux tulipes se touchant
les pétales
Ana Drouot
au vent de la mer
ondulation des épis
en vagues vertes
Alain Legoin
centre financier
derrière le parking
un champ d’oseille
Marie-Alice Maire
haïku anglophone
Plus tonique, ramassé, grâce à une langue plus contractée, facilement brève et impactante. Plus ancré dans le réel.
no telegram today
only more leaves
fell
pas de télégramme aujourd’hui
davantage de feuilles à terre
c’est tout
Jack Kerouac
clouds seen
through clouds
seen through
les nuages vus
à travers des nuages
vus à travers
Jim Kacian
haiku oriental et arabe
raffiné, sensoriel, souvent plein de mélancolie
Vingt sept degrés ~
venue de la mer une brise
au parfum de figuier
Rachida Jerbi
nouvelles poêles ~
des jours à penser
au temps qu’il me reste
Sarra Masmoudi
haïku espagnol
Apre, épuré, plein d’allitérations
el sabor del agua
en el hueco de las manos
rio de invernio
le goût de l’eau
dans le creux des deux mains
-rivière d’hiver
Veronica Aranda Casado
bruma de otoño
en la casa del pájaro
no vive nadie
brume d’automne
dans la maison de l’oiseau
ne vit personne
Fernando Platero
Bien sûr ces impressions de lecture ne sont que personnelles. Mais je les ressens fortement, donc les partage. Et si vous-même avez une connaissance particulière sur ce point – vous connaissez bien le haïku allemand, ou roumain, ou égyptien….Si vous avez- vous aussi- des impressions quant au caractère « national » de certains haïkus, j’aimerais beaucoup vous lire ! N’hésitez pas, alors, à vous exprimer dans les commentaires…en français s’il vous plait (( :
Partagez et ainsi propagez de la poésie!
Écrivant aussi en anglais, je peux confirmer la différence d’esthétique entre le haïku français plus « poétisant » et le haïku anglais plus direct (« straightforward »).
Cela stimule, je crois, des regions différentes de mon cerveau. Et cela est très intéressant
Merci Pascale pour cet article très bien senti.
Sébastien
Oui, quelle chance de pouvoir en écrire en anglais aussi! l’art de l’épure y est plus fort!