Quand “l’art du haïku” a été publié en 2009, Vincent Brochard et moi-même avons eu la joie de le voir chroniqué dans un article du Monde écrit par Stéphane Legrand. Le voici, à découvrir si vous ne le connaissez pas! Article du Monde écrit par Stéphane Legrand et publié le 26 mars 2009.
Refus de l’ornementation, dépouillement des apparats lyriques de la poésie japonaise classique, nudité absolue du réel, «retour vers le bas», l’ordinaire, le dérisoire : tout l’art du haïku est là.
l’art du presque rien
Lorsqu’on ouvre L’Art du haïku, les choses se passent de la manière suivante. On lit quelques textes de cette anthologie, et on croit d’abord avoir compris ce qu’est le haïku : un poème bref de la littérature japonaise, tiré au cordeau le long de la page, composé de trois unités métriques (classiquement 5, 7 puis 5 pieds), et destiné à capturer la beauté d’un instant, la lumière de la lune sur un bocal rempli de poulpes, l’ombre d’un arbre, presque rien.
Puis on en écrit un à son tour, par curiosité : choisissez, à votre guise, un cerisier en hiver ou un Kleenex au printemps. Et on se rend compte que l’on n’avait rien compris. On jette le résultat à la poubelle ou, pour plus de sûreté, on l’avale. On relit alors l’ensemble du livre, la préface de Pascale Senk et l’introduction de Vincent Brochard, qui détaille de manière passionnante l’histoire de cette forme littéraire, en se focalisant sur trois figures tutélaires, Matsuo Bashô (1644-1694), Kobayashi Issa (1763-1827) et Masaoka Shiki (1867-1902).
retour vers le bas
Curieuse forme, vraiment, que celle du haïku dont toute la philosophie se résume dans le plongeon d’une grenouille. Celle de Bashô, théoricien du «fûkyô» (folie poétique) qui, nous dit Vincent Brochard, révolutionna la poésie par ces trois vers :
Vieille mare
une grenouille plonge
bruit de l’eau
Refus de l’ornementation, dépouillement des apparats lyriques de la poésie japonaise classique, nudité absolue du réel, «retour vers le bas», l’ordinaire, le dérisoire : tout l’art du haïku est là.
Rien de plus difficile que cette simplicité totale. La comparaison est classique : on doit écrire un haïku comme le maître zen tire à l’arc, lorsque le vide s’est emparé de l’esprit. Le geste s’accomplit alors de lui-même : le poème vous trouve et s’écrit, trace laissée par l’indicible à la surface du langage. Avec la même tension aussi que la corde de l’arc.
une poésie de vagabonds
Tension bien sûr entre l’instant que le poème détache sur la trame du quotidien, et l’éternité pour laquelle il le fixe ; mais aussi entre la solennité et l’humour : le haïku sait être à la fois une célébration des splendeurs infimes de l’instant et un rire grinçant face à l’absurdité d’exister ; il est capable de chanter, dans un même souffle, la pureté virginale d’une fleur et sa forte odeur d’urine : Un effluve de pisse/ils exhalent aussi/les chrysanthèmes.
Poésie de vagabonds, car il faut errer pour saisir la mobilité nuageuse des choses et leur impermanence (Kerouac a écrit quelques haïkus splendides), pour se décentrer de soi-même et, conformément à l’intuition bouddhiste, anéantir le soi. Il s’agit de n’être plus qu’une pure sensation où s’abolit toute distinction entre celui qui ressent et la chose qui l’affecte, pour que le poème – dont le battement rythmé se synchronise à celui des pas – devienne, comme le dit joliment Vincent Brochard, »une pulsation (qui) s’accorde au phrasé des éléments».
BASHÔ, ISSA, SHIKI. L’ART DU HAÏKU : POUR UNE PHILOSOPHIE DE L’INSTANT, textes présentés par Pascale Senk et Vincent Brochard. Belfond, «L’esprit d’ouverture», 235 p., 18 €. Et version poche parue au Livre de Poche en juin 2010
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