Les poèmes brefs, en lire ou en écrire, semblent particulièrement aidants en cas de maladie, que l’on soit atteint soi-même, ou que l’on accompagne un proche. Dans cette enquête parue en 2020, je montre comment certains malades parviennent à s’apaiser et se renforcer en explorant l’art poétique des “trois lignes”.
Certains malades du cancer tiennent en ” haïkus”, via leurs blogs ou des sites, la chronique de leur maladie et des traitements ; d’autres fois, ce sont des poèmes acérés écrits par des haïjins gravement atteints, comme Kenshin Sumitaku, qui, à sa mort en 1987, a laissé 281 haïkus composés tout au long de sa leucémie. Parmi eux :
La peau sur les os
mais ce corps mon seul bien
je l’essuie avec soin
Les liens entre mal physique et format bref sont ténus. Est-ce parce que, dans son ADN, le haïku porte la croyance, ancienne au Japon, que les poèmes à forme fixe ont un pouvoir magique de guérison ? Ou n’est-ce pas plutôt parce qu’il est imprégné de l’expérience de la maladie que traversa Shiki (1867-1902), l’un de ses pères fondateurs ? Ce maître classique, le plus réformateur du genre, fut en effet atteint d’une forme de tuberculose osseuse qui devait le tenir paralysé et alité la plus grande partie de sa vie.
une littérature “humorale”
”Il a rencontré le haïku et en est littéralement tombé amoureux, au moment même où, à 21 ans, on lui a diagnostiqué sa maladie”, explique Emmanuel Lozerand, professeur de langue et littérature japonaises à l’Inalco et traducteur du journal de Masaoka Shiki ”Un lit de malade, six pieds de long” (éd. Les Belles Lettres).
Il est aussi, simultanément, devenu journaliste, et ses notes quotidiennes, publiées dans un grand quotidien national, forment une sorte de littérature” humorale”. Pleine de tourments et de douleurs, certes. Mais elle montre aussi un Shiki en bonne santé, car se réinventant sans cesse à travers l’écriture de haïkus qui sont comme des ”cerises sur le gâteau” quand sa journée s’est ”plutôt bien passée ”.
Ainsi peut-il écrire un jour, après des heures de douleurs, en signe de relâchement et de contact repris avec la réalité qui l’entoure :
Une motte de terre
sous la pivoine dans son vase
juste sous elle
s’accrocher au moment présent
Par son format ”pratique ”, l’écriture de haïkus permet en effet de s’accrocher au moment présent.
”Avec lui, estime Emmanuel Lozerand, le malade peut sortir d’un temps linéaire qui lui serait pénible au profit d’une écriture qui peut suivre la variabilité des états de son corps.” Facile à griffonner sur un lit, court, et souvent libératoire, le haïku peut permettre aux malades de noter des micro-événements surprenants, ou des raisons de se réjouir, ou au contraire l’expression de leurs doutes, manière, ainsi, de s’alléger de nombreux poids et de rester acteur de sa vie malgré tout.
Ainsi, Marjorie Miles, psychologue et hypnothérapeute américaine, a traversé neuf mois de cancer du poumon et traitements lourds en écrivant chaque jour trois haïkus… ce qu’elle appelle une voie de ”guérison poétique ”.
un carnet de salle d’attente
Les nanopoèmes aident aussi les aidants.
“Pendant quelques années, témoigne Pierre Tanguy, confronté à la maladie chronique de ma fille et à de longues séquences de soins intensifs, j’ai passé des journées dans les couloirs,aux portes des services de scanner ou salles d’endoscopie. J’avais sur moi un carnet et un crayon. Cela m’a permis de consigner ce que j’éprouvais en le transformant en quelques syllabes, donc sans pathos, sans débordement inutile. Le dépouillement du haïku me permettait de prendre du recul par rapport à ce que j’étais en train de vivre.”
Un travail d’épure intérieur autant qu’extérieur, puisque Pierre Tanguy à travers son recueil (Silence hôpital, éd. La Part commune), en haïjin, se concentre essentiellement sur la nature et les changements de saisons entraperçus des fenêtres de l’hôpital, ou sur les situations cocasses que ce lieu, qui pourrait n’être que désolation, permet parfois d’observer.
Près du lit
le soleil couchant
dans les poches de perfusion
Conscient de ces apports inestimables, Laurent Gauthier, logisticien en imagerie pédiatrique à l’hôpital Necker, vient d’y impulser des ”activités haïku ” – atelier ludique dans un espace dédié ou au chevet des malades.
Là encore, le mini-poème devient ”allié des enfants de plus de 12 ans, mais aussi de leurs parents… et peut-être un jour des soignants, espère Laurent Gauthier. Car grâce à lui, qui offre un temps de soulagement, on peut parler de choses graves avec légèreté”
Cet article sur haïkus et santé, écrit par mes soins, est publié dans l’hebdomadaire La Vie le 9 décembre 2020.
Partagez et propagez un peu de poésie!