haïkus : l’art de saisir l’instant présent

Voici un “collector” : le premier article que j’ai écrit sur cet art poétique que je venais de rencontrer. On était en 2009 et j’avais enfin persuadé ma hiérarchie, au magazine Psychologies, de publier une enquête sur cette énigmatique écriture en pleine expansion sur la Toile. Je ne le savais pas alors, mais cette enquête de novice allait me projeter dans une aventure et une exploration intenses pour plusieurs années à venir. Ce sont donc ces premiers pas que vous pouvez découvrir ici.

Voir l’essentiel, capter les éclats du quotidien, c’est l’exercice auquel invitent les haïkus, ces poèmes en trois lignes. Une nouvelle voie de sérénité ? Initiation et témoignages par ceux qui s’y adonnent avec délice.

Pour apprendre à se poser et à goûter le flux de la vie, le Japon nous avait déjà offert le zen, l’ikebana ou la calligraphie. Il faudra désormais compter avec le haïku. Ce court poème en trois vers et dix-sept syllabes – avant traduction –, né au VIIe siècle, en plein succès au XVIIe, attire un public de plus en plus large et fleurit sur Internet. Le Livre des haïkus, anthologie de Jack Kerouac parue au printemps dernier , a créé une surprise, et aux Editions de La Table ronde, qui l’ont publié, on parle d’un “phénomène de mode”. Est-ce parce qu’en un minimum de mots, le pionnier de la beat generation décrit son mal-être avec autant d’intensité que dans ses romans ?

J’ai raconté une blague sous les étoiles.
– Pas de rire.

Ou sa désastreuse relation avec sa mère ?

Dans la maison tranquille,
ma mère
se plaint et bâille

le goût du non-dit

“Le nombre de nos adhérents a quadruplé en trois ans ! » se félicite Dominique Chipot, cofondateur et président de l’Association française de haïkus. « Ce style d’écriture s’inscrit bien dans notre culture de la rapidité : les infos, le zapping, les slogans…, tout est bref aujourd’hui, alors on aime aussi lire court. Mais attention, le haïku donne surtout une fausse impression de vitesse.” Ce que confirmait le sémiologue Roland Barthes : “Il provoque un tilt, après on réfléchit.” Car en écho d’un haïku résonne toujours ce qui n’a pas été dit, seulement suggéré, comme dans le plus célèbre d’entre eux, écrit par le poète Matsuo Bashô :


Paix du vieil étang
Une grenouille plonge
Bruit de l’eau

“On sent les émotions du poète sans que celles-ci soient écrites, et ce non-dit fait toute la beauté du poème”, explique Catherine Belkhodja, rédactrice en chef de Marco Polo, un magazine dédié à l’Asie et à ses cultures.

une poésie de la maturité

Et Catherine Belkhodja aussi de constater un appétit grandissant pour cette écriture rapide, gratuite, attachée aux détails et à l’infime de la vie quotidienne. Ateliers, concours, communautés sur le web… « La grande surprise pour moi, c’est que la pratique du haïku se développe davantage à partir de 40 ans, constate-t-elle. Est-ce l’approche d’une relative maturité qui provoque ce besoin ? Comme s’il fallait avoir au moins la conscience du temps qui passe pour vouloir le retenir. » Si cette quête du moment présent vous tente, le haïku vous ouvre ses bras. En grand, évidemment.

Développez vos vertus

Selon le poète japonais Matsuo Bashô (1644-1694), la pratique du haïku favorise quatre grandes qualités.

  • Sabi : La simplicité et la conscience du temps qui passe et qui altère les choses et les êtres.
  • Shôri : La capacité à suggérer l’amour des choses humbles.
  • Hosomi : La découverte de la beauté du quotidien.
  • Karumi : L’humour, qui allège la gravité des choses. 

À lire

  • Le Livre des haïkus de Jack Kerouac. L’écrivain a trouvé dans la pratique du haïku une forme de liberté. Ce recueil en réunit plusieurs centaines (La Table ronde). 
  • Haïkus, anthologie de Roger Munier. Tout sur cette poésie japonaise traditionnelle (Points, “Poésie”).

Cet article, écrit par mes soins, a été publié en 2009 et mis à jour dans Psychologies Magazine le 9 octobre 2020.

Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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