chronique haïku #4

J’aime le recueil de haïkus de Christophe Jubien, Une assiette pour l’homme, un bol pour le chien. Entrer dans ce recueil, c’est comme rentrer dans une petite maison de ville de province endormie et y découvrir la bonne odeur du pain, le silence entrecoupé par le tic tac d’une horloge en bois, un peu de poussière sur le buffet de la salle à manger ; c’est comme prendre le temps de regarder un bouquet de chardons, retirer ses bottes de pluie, se rapprocher d’un feu de cheminée…

Une beauté rugueuse

Oui, c’est s’installer dans un univers de calme existentiel, parfois de mélancolie, et oser s’y sentir bien parce que l’hôte nous offre vérité, authenticité, humilité.

Mes vieilles chaussures
et quand je les retire
mes vieux pieds

Voici plus de vingt ans que Christophe Jubien, poète et journaliste, découvreur de poètes comme de poésie dans ses émissions de radio — notamment La Pierre à encre sur Radio Grand Ciel cisèle ses mots. La liste des ouvrages qu’il a publiés est impressionnante (pratiquement un par an), et celui-ci, le petit dernier est porteur du travail d’épure accompli.

Ses haïkus sont aussi rugueux et puissants qu’une robe de bure ou un bol en raku.

De toute la journée
ma dent creuse
et rien d’autre

dernier de l’an
le chat enterre sa crotte
et puis s’en va

On pense bien sûr à Santoka, Ryokan… et la vie quotidienne d’un moine zen, d’un méditant, n’est pas loin, mais toujours matinée de compassion pour l’autre, ce qui éclaire ce recueil si dépouillé.

à cœur ouvert

Alors, pour l’ouverture du cœur et la tendresse, on pense aussi à Issa et Christian Bobin.

Un cœur d’enfant
pour approcher
la vache

À tuer les mouches
il tue le temps
le petit chien

Entre chien et loup
une pâquerette
sans défense

la présence avant tout

En ne s’encombrant ni de la règle dès 5/7/5 ni d’un kigo systématique, en ne cherchant jamais d’effet, mais en privilégiant la présence, le regard attentif et l’austérité, Christophe Jubien touche à l’essence du haïku : accueillir ce qui est, dans sa pauvreté et son absurdité parfois, sans s’encombrer d’un but. En ce sens, cette lecture mène à une belle sensation de non-attachement et de conscience réunis… l’essentielle  richesse, en somme.

Une assiette pour l’homme un bol pour le chien de Christophe Jubien, préface de Philippe Macé, couverture et illustrations de Pierre Richir, Éditions Via Domitia, 2021, prix : 13 €

Cet article est paru dans la revue L’écho de l’écho n°4, septembre 21, dirigée par Danièle Duteil.

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Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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