chronique haïku 19

Cette poésie, il l’a rencontrée d’abord dans sa version vivante : lue à l’ open Mic d’un Pub de Clonakilty, la ville irlandaise où il vit. Chacun peut y venir sur scène pour déclamer ses poèmes en fin de soirée.

 “Au DeBarra’s Spoken Word, j’ai entendu un poète, Anton Floyd, lire parfois tout un tas de trucs assez compliqués pour moi -il écrit des sonnets, des vilanelles- me raconte Sébastien Revon. Mais ses haïkus m’ont interloqué au départ. J’étais aussi intrigué et fasciné par leur puissance dans la concision”.

Cela me rappelle d’ailleurs qu’à Paris, dans les années 90, un haut lieu du Slam –“Culture Rapide”, à Belleville, https://culturerapide.com/ tenu par Pilote the Hot https://fr.wikipedia.org/wiki/Pilote_le_Hot m’avait permis moi aussi d’ entendre des haïkus urbains très évocateurs, m’initiant indirectement à la puissance du bref.

Plus tard, à la bibliothèque municipale, Sébastien tombe sur un haïku de Chiyo-Ni dont il lit le contexte – Chiyo-Ni l’a écrit suite au décès de son jeune fils- . “J’en avais les larmes aux yeux, confie le haïjin débutant. Et ce fut un choc dont je ne me suis jamais remis”. C’est ce haïku qu’il choisit d’ailleurs en exergue de son recueil

maintenant

jusqu’où est-il allé, mon petit,

chasser les libellules ?

Il me semble d’ailleurs que cette empathie, cette compassion qu’a éprouvée Sébastien Revon en lisant Chiyo-Ni parsème la plupart de ses haïkus. Lui semble vraiment, entièrement connecté aux animaux et aux végétaux, ce qui rend son style particulièrement touchant . Celui d’un homme hypersensible aux moindres mouvements du vivant.

réveil tardif

j’ai loupé la conférence

du merle noir


de pissenlit en pissenlit

un papillon

me promène


solitude

un papillon s’envole

sans moi


une lueur

dans les yeux du renard

la lune rose


sécheresse

qu’est devenu

le vieil étang ?

En ce sens, pour un premier recueil, ces haïkus sont déjà très aboutis et comme mûris par ce qu’il y a de plus précieux dans cette poésie : son esprit ! En ce sens, il parvient “à saluer en quelques traits le passage de la vie dans la vie”, ainsi que le résume son préfacier, le poète Christophe Jubien.

Le chapitre  « premier café », qui ouvre le recueil,  me séduit particulièrement comme amoureuse de l’aube…mais il y a des joyaux dans chaque partie. Difficile de tous les égrainer…

aube d’automne

dans l’atelier du doreur

quelqu’un chuchote


meilleurs amis

pas un mot échangé

depuis l’aube


éclaircie

sur le banc du port

un peu d’océan


beaucoup de délicatesse saisie dans son instantaneité !

Ce haijin passionné sait aussi s’affranchir de la comptabilité des syllabes – 5/7/5-  abondamment pratiquée par les débutants comme un dogme incontournable. “Je m’éloigne du 5/7/5 car le haïku m’a rendu la liberté, aime- t-il à dire. Si le haïku m’a permis de me redonner vie alors que la vie soit belle, généreuse et libre”.

Aussi trouve t-on dans le recueil un haïku en deux lignes, un autre en quatre !

“C’est bien après la prise de notes initiale que je décide de la forme, précise Sébastien. Je souhaite coller le plus possible à l’émotion primordiale et pour cela, toutes les formes ne se valent pas. Parfois il faut sortir des sentiers battus. Par exemple, les quelques deux lignes que j’ai écrit ont tous été des moments de quasi révélation. Alors il fallait faire très court. Cela arrive rarement”.

aujourd’hui je n’ai rien fait

lever de lune

Autre élément libérateur  : Sébastien Revon est bilingue et lit et écrit des haikus anglophones aussi. Cela, à n’en point douter, lui donne du vent dans les ailes.

“J’ai la chance de vivre en Irlande, l’île d’émeraude, précise-t-il. La présence de l’océan tout proche est très importante. Le vent aussi, si différent de celui de ma Bourgogne. Les gens aussi sont différents. Plus positifs. Ils m’aident à me focaliser sur ce qu’il y a de beau dans la vie. Je me sens chez moi enfin ”. Une sensation qu’il nous transmet au point de nous emmener en voyage :

odeur de tourbe

l’automne arrive

par les cheminées


vent marin

un pan de dune s’effondre

sans un bruit


vent d’Irlande

j’écoute le crépuscule

des grands frênes

A lire

Sébastien Revon, Plan d’évasion, avec une belle préface de Christophe Jubien, 90 p, 13 euros.

paru aux éditions Via DOMITIA

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Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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