Voilà un fait qui m’intrigue : parmi tous ceux qui rencontrent la poésie haïku, certains un jour y “plongent” littéralement, comme dans une addiction sévère. Ce fut mon cas – et cela je l’ai raconté dans l’Effet haïku.
C’est aussi me semble-t-il le cas de Sébastien Revon qui, très engagé sur les forums d’échanges entre haïjin.e.s français.e.s ou anglophones, a publié un premier recueil qui montre sa puissante adhésion, et précoce, à l’esprit du haïku, Plan d’évasion
des haïkus live
Cette poésie, il l’a rencontrée d’abord dans sa version vivante : lue à l’ open Mic d’un Pub de Clonakilty, la ville irlandaise où il vit. Chacun peut y venir sur scène pour déclamer ses poèmes en fin de soirée.
“Au DeBarra’s Spoken Word, j’ai entendu un poète, Anton Floyd, lire parfois tout un tas de trucs assez compliqués pour moi -il écrit des sonnets, des vilanelles- me raconte Sébastien Revon. Mais ses haïkus m’ont interloqué au départ. J’étais aussi intrigué et fasciné par leur puissance dans la concision”.
Cela me rappelle d’ailleurs qu’à Paris, dans les années 90, un haut lieu du Slam –“Culture Rapide”, à Belleville, https://culturerapide.com/ tenu par Pilote the Hot https://fr.wikipedia.org/wiki/Pilote_le_Hot m’avait permis moi aussi d’ entendre des haïkus urbains très évocateurs, m’initiant indirectement à la puissance du bref.
Plus tard, à la bibliothèque municipale, Sébastien tombe sur un haïku de Chiyo-Ni dont il lit le contexte – Chiyo-Ni l’a écrit suite au décès de son jeune fils- . “J’en avais les larmes aux yeux, confie le haïjin débutant. Et ce fut un choc dont je ne me suis jamais remis”. C’est ce haïku qu’il choisit d’ailleurs en exergue de son recueil
maintenant
jusqu’où est-il allé, mon petit,
chasser les libellules ?
La force de la compassion
Il me semble d’ailleurs que cette empathie, cette compassion qu’a éprouvée Sébastien Revon en lisant Chiyo-Ni parsème la plupart de ses haïkus. Lui semble vraiment, entièrement connecté aux animaux et aux végétaux, ce qui rend son style particulièrement touchant . Celui d’un homme hypersensible aux moindres mouvements du vivant.
réveil tardif
j’ai loupé la conférence
du merle noir
de pissenlit en pissenlit
un papillon
me promène
solitude
un papillon s’envole
sans moi
une lueur
dans les yeux du renard
la lune rose
sécheresse
qu’est devenu
le vieil étang ?
En ce sens, pour un premier recueil, ces haïkus sont déjà très aboutis et comme mûris par ce qu’il y a de plus précieux dans cette poésie : son esprit ! En ce sens, il parvient “à saluer en quelques traits le passage de la vie dans la vie”, ainsi que le résume son préfacier, le poète Christophe Jubien.
…et de la délicatesse
Le chapitre « premier café », qui ouvre le recueil, me séduit particulièrement comme amoureuse de l’aube…mais il y a des joyaux dans chaque partie. Difficile de tous les égrainer…
aube d’automne
dans l’atelier du doreur
quelqu’un chuchote
meilleurs amis
pas un mot échangé
depuis l’aube
éclaircie
sur le banc du port
un peu d’océan
beaucoup de délicatesse saisie dans son instantaneité !
Un goût de liberté…et de vérité
Ce haijin passionné sait aussi s’affranchir de la comptabilité des syllabes – 5/7/5- abondamment pratiquée par les débutants comme un dogme incontournable. “Je m’éloigne du 5/7/5 car le haïku m’a rendu la liberté, aime- t-il à dire. Si le haïku m’a permis de me redonner vie alors que la vie soit belle, généreuse et libre”.
Aussi trouve t-on dans le recueil un haïku en deux lignes, un autre en quatre !
“C’est bien après la prise de notes initiale que je décide de la forme, précise Sébastien. Je souhaite coller le plus possible à l’émotion primordiale et pour cela, toutes les formes ne se valent pas. Parfois il faut sortir des sentiers battus. Par exemple, les quelques deux lignes que j’ai écrit ont tous été des moments de quasi révélation. Alors il fallait faire très court. Cela arrive rarement”.
aujourd’hui je n’ai rien fait
lever de lune
Sur l’Ile émeraude
Autre élément libérateur : Sébastien Revon est bilingue et lit et écrit des haikus anglophones aussi. Cela, à n’en point douter, lui donne du vent dans les ailes.
“J’ai la chance de vivre en Irlande, l’île d’émeraude, précise-t-il. La présence de l’océan tout proche est très importante. Le vent aussi, si différent de celui de ma Bourgogne. Les gens aussi sont différents. Plus positifs. Ils m’aident à me focaliser sur ce qu’il y a de beau dans la vie. Je me sens chez moi enfin ”. Une sensation qu’il nous transmet au point de nous emmener en voyage :
odeur de tourbe
l’automne arrive
par les cheminées
vent marin
un pan de dune s’effondre
sans un bruit
vent d’Irlande
j’écoute le crépuscule
des grands frênes
A lire
Sébastien Revon, Plan d’évasion, avec une belle préface de Christophe Jubien, 90 p, 13 euros.
Partagez et ainsi propagez de la poésie!
Pascale, un grand merci pour cette magnifique recension !