L’enfant, l’épouvantail, le vent…que faut-il d’autre pour faire un monde ? C’est un peu ce que nous demandent les haïjins de talent, qui savent que quelques mots justes, c’est-à-dire employés où il faut et quand il faut, dessinent en grand la vie.
Dans le recueil d’ Abelhak Moutachaoui – son premier- l’écriture rayonne d’épure : rien ne dépasse, rien n’est en trop, et ainsi nous sommes entrainés sur une route si simple et authentique qu’elle en devient incontournable.
L’entrée du village
un papillon me montre le chemin
un peu plus d’épure
Oui, c’est un haïku en deux lignes, et le poète semble attaché à cette forme, qui domine dans son recueil. Est-ce encore par volonté d’une épure toujours plus radicale ?
Par effet de contraste, les quelques « 3 lignes » parsemés résonnent plus fort; la voix du haïjin se fait alors plus insistante, déterminée :
Sur le mur
Son ombre murmure quelque chose
A mon ombre !
Sur la main
une feuille morte
que le temps passe vite
nostalgie du chez soi
Poète vivant dans la ville moderne de Casablanca, Abelhak Moutachaoui distille une douce nostalgie des faits et gestes observés dans son « lointain village », nous rappelant parfois la musique des regrets d’un Issa.
Une longue histoire
avant que grand-père ne verse le thé
Balayant les feuilles mortes
elle cause à son mari
la vieille veuve
Si le recueil est structuré en quatre parties, c’est ce climat en mode mineur, à la fois mélancolique et tendre, qui domine, notamment dans la sélection des haïkus d’hiver regroupés au chapitre « Un peu plus de sucre dans la théière ».
Entre les branches
un morceau de ciel bleu
je rêve de voyager
Nouvel hiver
le père avec le manteau d’un soldat inconnu
On garde de cette lecture le sentiment d’avoir voyagé en terre d’humilité et d’empathie pour les gens, les moineaux ou les tortues, le ciel. En terre haïku, en quelque sorte.
« Quatre heures du matin », de Abelhak Moutachaoui
Préface de Christian Cosberg, Photographies de Fitaki Linpé
éditions Via domitia, 2022; 80 pages, 13 euros
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Cette chronique est parue dans la revue L’Echo de l’écho n°7, de juin 2022, dirigée par Danièle Duteil
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