Un geste, une caresse, l’évocation de l’avenir… parfois on ne sait quoi faire ou dire pour aider l’autre. Comme, quand nous mêmes allons mal, nous ignorons ce qui nous ferait du bien. Dans un article publié en 2018, j’ai réfléchi aux appuis dont nous disposons pour traverser l’épreuve et savoir consoler. Le voici.
On savait depuis longtemps que les grands singes se réconfortent entre eux lorsqu’un des leurs va mal. Ils le font à travers de grandes embrassades. Ce que l’on prenait pour une spécificité humaine, l’empathie et la capacité à la manifester, ne l’était donc plus.
Mais plus récemment -l’étude a été publiée dans Science en 2016- les chercheurs du Yerkes National Primate Research Center de l’Université Emory ont démontré qu’un rongeur, le Campagnol des Prairies, augmentait le toilettage de son partenaire quand celui-ci était stressé. Mieux, son taux d’ocytocine et d’autres marqueurs biologiques se mettaient à s’élever au point d’impacter les taux de son alter ego qui s’en trouvait apaisé.
les animaux savent se consoler
Ainsi, les animaux savent-ils naturellement se consoler. Mais nous, humains dotés de conscience et de langage, sommes souvent embarrassés. Que dire en effet à celui qui vient de vivre l’impensable, un deuil tragique, une annonce de maladie fatale ? Et nous-mêmes, pouvons nous nous “auto-consoler” quand nous sombrons ?
Sans doute faut-il en premier lieu accepter pleinement la peine et savoir qu’il restera toujours de “l’inconsolé” , comme les philosophes Michael Foessel (dans Le Temps de la consolation, Éditions du Seuil) et André Comte-Sponville, -dans (l’inconsolable et autres impromptus, ed PUF) chacun à leur manière, l’ont écrit. Le pire en effet ne consiste-il pas à répéter “ce n’est rien !” à celui qui souffre ?
canaliser ses émotions pour aider les autres
Mais pas question non plus d’ en rajouter. Quelques semaines après le séisme et le tsunami qui ont ravagé le Japon (en 2011) le moine zen Koike Ryunosuke rédigeait un texte ( “l’art de la consolation” ed. Philippe Picquier) à l’usage de ses contemporains qu’il jugeait trop affligés pour pouvoir s’entraider réellement.
Rappelant la notion d’équanimité bouddhique, il écrivait: “la bienveillance s’adosse nécessairement à un certain sang-froid. Lorsqu’on tâche d’accompagner les victimes d’un drame qui souffrent, si on se laisse aller au tapage émotionnel, rien ne va. C’est une fois nos propres émotions maîtrisées et notre moi ouvert à la bienveillance qu’on peut tendre l’oreille à la souffrance des autres”.
la force des résilients
Paradoxalement c’est en s’appuyant sur ses propres expériences de désespoir, et en les dépassant, qu’on semble pouvoir aider au mieux celui qui est encore dedans. Prenez la britannique Jodi Ann Bickley, créatrice en 2013 d’un site original (www.onemillionlovelyletters) qui a eu pour vocation de redonner espoir à ceux qui sombrent.
Elle avait seulement 23 ans quand on lui découvrit une encéphalite due à une morsure de tique. Sortie paralysée de cette contamination, elle était déterminée à se connecter avec d’autres qui endurent comme elle de sales périodes.
Pour s’en sortir, Jodi Ann Bickey s’est mise à envoyer des lettres d’encouragement manuscrites, et à chaque fois singulières. On en découvre quelques dizaines, traduites, dans son livre (“Un million de lettres d’espoir” -ed. leduc.s https://www.editionsleduc.com/auteur/898/jodi-ann-bickley).
Que dit-elle a ses correspondants d’un genre particulier ? Qu’ils sont uniques, courageux, qu’ils ont le contrôle, qu’ils ont droit au bonheur…bref, elle fait résonner une musique agréable qu’ils ne savent plus composer par eux-mêmes. “Nous sommes tous capables de nous entraider en devenant la voix positive, la “bonne voix ” de quelqu’un d’autre (…) nous ne nous écoutons pas assez, nous avons donc besoin des autres pour nous rappeler que nous sommes exceptionnels, écrit-elle ”.
Certes. Mais celui qui a été brisé, quelle forces intérieures lui permettront-il d’encaisser sa peine, voire de la transcender? Le parcours d’Elie Buzyn est en ce sens passionnant. Dans «“J’avais quinze ans” (ed.Alisio) il dévoile, après un long temps de silence, les ressources qui lui ont permis de “vivre, survivre et revivre” après son expérience des Camps de la mort et la perte de sa famille alors qu’il n’avait que 15 ans.
regarder vers l’avenir
Comme source d’inspiration fondatrice, il y eut d’abord une phrase que sa mère lui avait glissé à l’oreille au moment où la menace nazie rodait: “tu dois tout faire pour rester en vie ”. Cette injonction maternelle fonctionna comme un ressort invisible quand le jeune Elie fut capturé. Elle l’invitait sans cesse à regarder devant lui, vers l’avenir.
De même, quelques rencontres fondatrices qui le réconcilièrent avec le genre humain. Aujourd’hui, s’il reste de l’inconsolé en lui, celui qui est devenu chirurgien orthopédiste alors même qu’il avait eu les pieds gelés à Büchenwal (comment ne pas y voir une consolation profonde ?) “répare les autres ”, et témoigne, transmet à ses enfants, petits-enfants devenus les preuves vivantes que le projet nazi a échoué.
En cela, et autant à lui même qu’aux autres, il montre cette capacité définie par le philosophe Michael Foessel : “consoler revient à convaincre l’autre qu’il est possible de vivre au-delà du point où cela semble impossible”.
Cet article est paru dans le FIGARO du 4 juin 2018
Merci