De décembre 2022 à l’été 2025, j’ai célébré chaque solstice avec une chronique haïku dans Les carnets du yoga, formidable publication trimestrielle de l’École Française de Yoga, sise rue Aubriot à Paris. Voici l’ensemble de ces chroniques, apparaissant ici par saison.
avril 2023
Dès la première éclaircie, le cœur s’emballe et l’envie de s’ébrouer nous arrive. Elle est tellement fêtée cette saison du renouveau, des amours animales et de l’enfance ! La poésie occidentale n’a cessé de la chanter, aussi la primavera arrive toujours parée de ses plus beaux atours dans notre esprit et notre cœur. Pourtant, pourtant… les haïjins, eux (ceux qui écrivent des haïkus) notent une énergie instable, des moments de régression dans cette grande avancée de l’élan vital. Pensez aux giboulées, aux pluies incessantes de mars. Pensez aux jours de soleil suivis de grisaille tenace. Et tenez-vous au plus beau des projets : renaître malgré tout.
fraîcheur matinale
l’arbuste déplie ses feuilles
une à une
dans ma théière
le parfum des cerisiers
bientôt en fleurs
premiers beaux jours
aux roucoulements l’aube
suspendue
avril 2024
Dites « fleurs » et aussitôt vous reviennent à l’esprit les touches de bleus, de rouge, dans les champs de blé, les bouquets de fêtes à composer, les parfums suaves dans la chaleur de certains soirs… Dites « fleurs » et vous trouverez une raison de plus de goûter la vie ! On sait combien le Japon voue à ces compagnes végétales un respect immense, notamment à travers l’art de l’ikebana, voie des compositions florales ou la tradition de l’hanami, quand tout un peuple se retrouve pour célébrer les cerisiers en fleurs. Aussi, dans la poésie haïku, les pétales, les corolles et même les fanaisons sont très souvent là. Car les fleurs, par leur simple présence, et leur présence simple, nous rappellent l’évidente puissance de la délicatesse, l’évanescence du vivant, la force de la beauté. Avec ces vérités qu’elles murmurent inlassablement, nous possédons l’essentiel.
après Pâques –
des bourgeons d’hortensia
pour petite joie
au pas de la porte
les frêles fleurs d’onagre
toutes penchées
premier mai
tremblant sous une clochette
mon nouvel espoir
avril 2025
Pendant les mois noirs (décembre, janvier, février) on se retrouve parfois à ne plus y croire… La lumière, les parfums, les chants d’oiseaux reviendront-ils ? Par quel miracle encore ces merveilles pourraient-elles ressurgir alors que nous n’avons devant nous que brouillard et longs jours opaques ? L’analogie avec notre vie intérieure s’impose : quand nous sommes au plus bas, nous ne pouvons imaginer quelle sera la sortie de tunnel. Et pourtant, en restant ouverts et conscients, nous pouvons peu à peu, à travers d’infimes mouvements du réel, percevoir que quelque chose arrive. Oh ce n’est pas forcément spectaculaire. Cela tient à des détails, des soubresauts du vivant, des bruissements légers… mais cela existe ! Et alors un jour, le mouvement se fait plus fort. On est prêt. L’envie de revivre, inattendue et incontrôlable, nous prend. Nous pouvons reprendre vie dans un nouveau cycle. Quelle joie !
petit printemps
l’an passant me chuchote
un peu d’espoir
premiers soleils –
sur le trottoir à nouveau
mon ombre
approchant
du bosquet de jonquilles
nos cœurs se lèvent
Chronique et haïkus de Pascale Senk parus dans Les carnets du yoga, publication trimestrielle de l’École Française de Yoga.