De décembre 2022 à l’été 2025, j’ai célébré chaque solstice avec une chronique haïku dans Les carnets du yoga, formidable publication trimestrielle de l’École Française de Yoga, sise rue Aubriot à Paris. Voici l’ensemble de ces chroniques, apparaissant ici par saison.
été 2023
Nous y voilà, au temps de la verticalité : la lumière, dardant dès l’aube et tard le soir ; les herbes hautes, qui se dressent vaillamment face au vent chaud d’après-midi ; les fruits gorgés de soleil, qu’il faut aller chercher jusque sur les dernières branches… Nous pouvons nous élever, nous étirer jusqu’au ciel, dans nos corps qui se dénudent enfin, alors que les arbres, de leurs feuilles, nous protègent. L’été est l’heure où tout peut se dévoiler, se goûter, être remercié. La poésie haïku insiste alors sur le plus petit qui se révèle : le lézard qui s’échappe de la pierre ; le moustique dansant au petit matin ; la luciole qui nous précède dans nos divagations de nuit. Verticalité, plaisir, gratitude ! Il est temps d’aimer et de plonger avec ardeur dans la beauté fugitive de ces instants lumineux qui, comme tout, ne dureront pas.
aube d’été –
sous les pieds la rosée
en tête le ciel
grosses chaleurs
s’étirant le chat rallonge
de dix centimètres
bruine de fin août
en grand j’ouvre les rideaux
dans ma tête
été 2024
Précieuse, vivifiante, vitale. L’eau nous glisse entre les doigts mais peut aussi nous plaquer contre un mur, renverser des immeubles. Elle nous rafraîchit, nous lave, mais constitue aussi 80 % de notre corps. Pas de saison plus concernée par ses multiples formes que l’été : torrents, océan, averses tièdes, rivières, lacs… Nous n’en avons jamais assez quand la chaleur nous pousse outdoor. Pour le haijin — poète de haïkus —, l’empathie aquatique n’est pas une formule savante, abstraite, mais un mode de vie. Nous la contemplons, nous y plongeons, mesurons sa fragilité et redoutons son absence. Car dans certaines contrées du monde, elle devient un or rare et c’est chacune de nos cellules qui craint sa possible désertion. Aimons les pluies d’été, les vagues soulevées par le vent, les rivières chatoyantes ! Chaque rencontre avec l’eau devient alors source de poème.
jour de canicule –
dans les reflets du lavoir
est-ce mon visage ?
un scarabée noir
escaladant les pierres
– rivière sèche
quelle escapade
les zig-zag du papillon
jusqu’à l’eau claire !
nage matinale –
dans la mer sans limites
ma petite trace
été 2025
Avancer. Aussi souvent que possible, avancer. Peut-être est-ce là l’un des plus grands secrets de l’art de vivre : se mettre en marche. Prendre la route, arpenter des rues pavées, des sentiers côtiers, des chemins creux. Les grands maîtres du haiku classique (Bashô, Issa, Santoka…), dès le XVIIe siècle, ont conçu leur poésie démocratique et porteuse de bouddhisme zen en traversant le Japon à pied ! Pour nous, sédentaire, voilà l’un des plus grands plaisirs de la saison estivale, qui nous propulse outdoor. Marcher nous offre la découverte du monde, l’immersion dans le vivant, l’alternance d’un rythme qui se joue autant à l’intérieur de nous qu’à l’extérieur. Marcheurs, nous allongeons nos muscles au fil des pas, et pouvons caler nos pensées sur notre souffle. Cette invitation à la méditation en marche mène tout droit à la poésie, qui s’insinue dans nos randonnées les plus douces.
escapade –
sans savoir mes pas rejoignent
la fraîcheur
jusqu’au bruit de l’eau
ce chemin d’herbes sèches
– fin d’un jour d’été
terre crayeuse –
dans la poussière volent
tant de rêves
couchant d’été –
nos ombres nous devancent
sur la pierraille
Chronique et haïkus de Pascale Senk parus dans Les carnets du yoga, publication trimestrielle de l’École Française de Yoga.