chronique haïku #1

Les bleus du papillon de Coralie Creuzet

Entrer dans un recueil de haïkus, c’est un peu comme poser un disque sur une platine. On espère un voyage musical, scintillant de notes légères ou plus graves. On espère entendre une mélodie. M’immergeant dans l’harmonie poétique de Coralie Creuzet, je n’ai pu m’empêcher de penser : « c’est du blues », ce qui revient à dire que j’y ai trouvé une densité épurée, du « coffre » et surtout de l’âme.

une ballade en mineur

En ouvrant avec l’automne, la haïjine donne le La de son opus : la conscience de la fuite inexorable de toute chose. Cette “voyance”qui est le propre du poète est toujours liée chez Coralie Creuzet à une grande perception de la beauté. En ce sens, pas de désolation, pas de misère dans la ballade en mineur qu’elle nous propose. Mais un fond d’émerveillement, toujours collé aux plus petits actes du quotidien,  nous sauve.

jardin d’automne –
dans la théière
un reste de pluie

vite au premier étage
voir un peu plus longtemps
les nuées d’étourneaux

Comme les vrais bluesmen, Coralie sait aussi nous chanter l’absurdité du monde, ses errements, les murs qu’il élève entre les êtres vivants.

sans abri
un peu chez soi
sous le parapluie

tramway –
la petite sourit à la foule
des smartphones

après avoir été abattu
le sapin de Noël
décoré

une poésie de cœur à cœur

Cette perception d’une dureté sociale est elle aussi adoucie dans des haïkus qui évoquent le lien humain, si fort quand il est fait d’empathie et d’acceptation.

EHPAD –
pour toucher son cœur
je lui prends la main

retour des hirondelles –
un jeune migrant
me parle d’amour   

Et des notes joyeuses, parfois espiègles, toujours attendries  s’imposent au fur et à mesure de la lecture. Car Coralie Creuzet a indéniablement le goût de l’enfance vissé au cœur. Grâce à elle, on entend les rires cristallins, on reconnaît une trottinette, on ressent même l’ énergie fraîche amenée par la compagnie des petits

sortie d’école –
elles me racontent leurs journées
ensemble

dans le jardin
leur cabane
un bouquet de parapluies

Ces haïkus naissent tous d’une grande sensibilité et l’on sent que la poétesse est poreuse aux parfums, aux jeux de lumières, aux bruits du monde.

le sens du contraste

J’ai noté de nombreux haïkus construits sur l’opposition intérieur/extérieur et ces contrastes donnent des images fortes.

sortie d’hôpital –
mon  visage offert
à la pluie

chaleur accablante –
toute la journée plongée
dans un livre

Le talent formel de Coralie Creuzet donne une belle résonance à ces sentiments subtils. On sent à la fois maitrise et liberté de structure dans cette écriture qui s’adapte vraiment à chaque haïku : des 5/7/5, bien sûr, mais aussi des poèmes plus brefs, minimaux, quand cela s’impose. Il est évident que la haijin travaille à l’épure, cisèle ses mots jusqu’à en faire jaillir l’éclat ultime.

autour du ballon
le ciel
infiniment

le sens graphique

Cet art  du juste rythme est soutenu par l’édition et la mise en page, de grande qualité. On sent que l’auteure et l’éditeur ont cherché, à chaque fois, à présenter le haïku au “mieux de sa forme”.

Quelques haïkus se présentent par exemple en triangle pointe en haut ou en bas, et cette typographie créative est un point fort de plus pour ce recueil qui ravit le lecteur dans une mélodie fort bien orchestrée.

ombre
paissant l’ombre
un chevreuil dans la nuit

Les bleus du papillon, de Coralie Creuzet, photographies et préface de Fitaki Linpé, Éditions Via Domitia, 2020, prix : 13 €.

Article paru dans la revue l’écho de l’écho n°1, décembre 2020, dirigée par Danièle Duteil.

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Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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