odeurs : les nouvelles alliées de notre santé psychique

Trop longtemps négligés, les pouvoirs olfactifs sur la vie émotionnelle sont de plus en plus considérés.

“Choisissez l’une de ces huiles essentielles, celle qui vous attire. Déposez une goutte à l’intérieur de votre poignet. Maintenant, installez-vous confortablement, mettez vos mains en coupe sur votre visage et… respirez !” Dans le cabinet de Laure Mayoud, psychologue et enseignante à Lyon, le temps s’arrête, la séance peut commencer.

Ses patients, des étudiants pour la plupart, expérimentent un voyage sensoriel et psychosomatique. “En une fraction de seconde, les effets sont perceptibles !”, s’enthousiasme la psychologue. “Mes patients ont un regard plus clair, leur corps se détend. C’est comme une fenêtre s’ouvrant sur leur psychisme. Si je leur demande de me parler de l’huile qu’ils ont choisie, les associations arrivent, leur parole se libère…” Ainsi cette jeune fille qui, respirant de l’huile d’orange douce, s’est mise à parler avec affect des «mains de sa grand-mère». Si la psychologue a inclus cet outil olfactif dans sa pratique, c’est aussi parce qu’elle affirme en connaître “la puissance cathartique” qu’elle a mesurée sur elle-même. D’ailleurs, en séance, Laure Mayoud inhale le même parfum que ses patients. “Je suis avec eux dans cette expérience sensorielle, c’est souvent un pur moment de synergie humaine !”

L’odorat gagne du terrain dans le domaine de la psychothérapie. Cet engouement n’étonne pas Jeanne Doré, cofondatrice et rédactrice en chef du site auparfum.com et de Nez, la revue olfactive, superbe trimestriel où l’on trouve de grandes enquêtes sur les capacités olfactives des animaux ou les pouvoirs des bois ambrés. “Désormais, des disciplines comme la sociologie, l’histoire ou la philosophie explorent une culture de ‘l’odorat’ qui jusque-là était préemptée surtout par les marques de parfumerie, observe-t-elle. On a trop souvent pensé que l’odorat nous rapprochait de l’animal alors qu’il développe notre intelligence et mérite un réel apprentissage.”

Aujourd’hui, l’aromachologie s’impose. Si l’aromathérapie s’attaque aux problèmes somatiques (maux de ventre apaisés avec de l’huile de basilic, par exemple), l’aromachologie s’attache essentiellement à la sphère psycho-émotionnelle. “C’est la science des phénomènes liés aux odeurs, plus particulièrement l’influence de celles-ci sur le comportement”, précise Patty Canac, professeure à l’Institut supérieur du parfum (Isipca, Versailles) et auteure du “Guide des émotions olfactives” (éd. Ambre).

“Cela entérine des pratiques traditionnelles, un savoir naturaliste et populaire qu’on retrouve autant dans l’Égypte ancienne qu’à Grasse”.

Avant de concevoir des ateliers ouverts à tous, cette pionnière a amené sa “boîte à odeurs” dans les hôpitaux. “À Garches, j’ai travaillé avec les neurologues. Chaque odeur était comme un harpon qu’on envoyait dans la zone neuronale concernée afin de raviver les mémoires des patients.” Un parfum de pêche ou de melon peut raviver l’appétit de ceux encombrés d’une sonde ; une brumisation d’orange douce apaise les patients agités ; la camomille amortit le choc chez ceux qui viennent d’apprendre un diagnostic difficile. “Mais il faut une respiration prolongée, s’y adonner pendant au moins cinq minutes pour que ce territoire sensoriel régule le système nerveux autonome”, précise Patty Canac. Pour elle, l’olfaction adjointe à de l’hypnose ou des traitements de médecine chinoise est un “outil magnifique” pour apaiser stress ou phobie de l’avion…

Attention cependant, rappellent tous ces amoureux de l’olfaction : même si les intoxications ont principalement lieu en en cas d’ingestion (méfiance en particulier chez les enfants), l’inhalation d’une huile essentielle n’est pas anodine. Il faut donc prendre garde aux produits utilisés et les éviter en cas d’allergie ou d’irritabilité nasale.

Hirac Gurden, directeur de recherches en neurosciences au CNRS, spécialisé dans l’étude fonctionnelle du système olfactif, se félicite que des études avec cohortes et questionnaires commencent à établir des liens entre l’exposition à certaines odeurs et des réactions inconscientes du système neurovégétatif (changement de rythme cardiaque, dilatation des pupilles…). De même, des électroencéphalogrammes montrent des signaux électriques nettement amplifiés ou diminués par certaines odeurs. “Cela entérine des pratiques traditionnelles, un savoir naturaliste et populaire qu’on retrouve autant dans l’Égypte ancienne qu’à Grasse”, affirme le chercheur.

Mais il reste beaucoup à faire. “Les expériences sont encore trop disparates et les études ne trouvent pas toujours de liens entre les réactions physiologiques et ce qu’en disent les témoins”, regrette Hirac Gurden, qui ajoute néanmoins : “Il faut encourager chacun à faire confiance à son nez : se donner un temps de stimulation olfactive, ça ne peut que faire du bien et cela peut devenir, comme la musique, l’objet d’un réel apprentissage”.


Cet article, écrit par mes soins, est paru dans le Figaro du 16 juin 2019.

Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

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