Les poèmes, romans, tableaux et oeuvres musicales peuvent-ils devenir des propositions guérisseuses ? Depuis le 1er novembre 2018, l’association MFDC (Médecins francophones du Canada) propose à ses membres de prescrire à leurs patients des visites gratuites au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Ces “prescriptions muséales“ qui invitent à la contemplation de chef – d’œuvres artistiques sont particulièrement recommandées en cas de dépression et de troubles anxieux.
A Lyon, au « Point Ecoute » de l’Ucly de Lyon, la psychologue Laure Mayoud suit cette même démarche avec les étudiants qu’elle reçoit, lors de séances qu’elle préfère nommer “conversations”. A ceux qui viennent la voir pour des souffrances psychiques affectant souvent le corps (troubles alimentaires, du sommeil, difficultés à gérer stress et anxiété avant les examens…), elle lance des invitations vers des “espaces – temps de beauté” : aller voir une pièce de théâtre, une chorégraphie, un concert, une expo dans une galerie d’art… mais également se plonger pendant quelques heures dans la nature.
Plutôt que des médicaments, des contemplations
Tout commence, classiquement, par une rencontre attentive de celui ou celle qui souffre. “Le temps de notre conversation j’entends, dans une écoute empathique et flottante, les affinités, curiosités, désirs, mais aussi les questions, les blessures de chaque personne, explique la psychologue. Lorsque je leur parle de “prescriptions culturelles”, ils prennent cela comme un mot d’esprit, un jeu de mots qui provoque chez eux une surprise agréable, et des sourires”.
Puis, en fonction de la subjectivité qui s’exprime, Laure Mayoud peut suggérer de se servir dans la bibliothèque de son cabinet qui est volontairement très “cosy”.
Entre canapé et décoration chaleureuse, il est possible de savourer ensemble un poème (par exemple, “et un sourire” de Paul Eluard), une citation philosophique, le chapitre 21 du “ Petit prince” de St Exupéry, ou l’écoute d’ une émission en podcast de France Culture (entre autres “Jacques Bonnafé lit la poésie”)…. Parfois, la psychologue demande : “Qu’est-ce qui fait vibrer votre cœur ? ”. Et qu’ils soient fans de Rap ou choisissent un poème de Prévert, Laure Mayoud s’adapte.
“Ce sont des invitations à la contemplation, pas des invitations à créer, précise Laure Mayoud. Toutefois, suite à ces découvertes, souvent les étudiants (re) prennent goût à créer, en écrivant des poèmes, des histoires, des réflexions intimes”.
la beauté se diffuse
C’ est ainsi que ces prescriptions culturelles font soin, à la fois pour soi et pour les autres : lors des séances suivantes, de nombreux étudiants confient les avoir diffusées auprès de leurs proches. Ils en proposent également de leur choix à la psychologue. Et les effets notables de ces échanges se manifestent : “Fréquemment, quelques “conversations” suffisamment espacées dans le temps permettent de dégager le patient de sa problématique actuelle en prenant de la hauteur sur son existence. Le plus souvent, les symptômes s’estompent et même disparaissent peu à peu”.
Puissance de l’empathie esthétique
Comment expliquer un tel impact ? “La prescription par la culture, que j’étendrais à la beauté, me paraît évidente depuis les temps les plus anciens, estime Laure Mayoud. Il suffit de voir comment nos ancêtres préhistoriques se soignaient déjà avec leurs peintures rupestres dans la grotte Chauvet, par exemple”.
Et d’évoquer aussi la puissance cathartique des oeuvres d’art, qui nous aident à comprendre et exprimer nos émotions (cf. la tragédie grecque), ou les bienfaits physiologiques de ces poèmes qui “soignent notre coeur car ils arrivent directement, de manière instinctive, à converser avec cet organe vital”. Pour la psychologue, celui qui mémorise des poèmes voit son cœur se réchauffer au rythme de la prosodie…. Et de citer cette pensée visionnaire de Paul Eluard : “un coeur n’est juste que s’il bat au rythme des autres coeurs”
Cet impact de la beauté, des rimes et de la musique sur notre physiologie, Laure Mayoud le mesure aussi grâce aux travaux du neurologue et neurophysiologiste Pierre Lemarquis auteur de “L’Art qui guérit” (ed. Hazan)
Pour ce mélomane et grand scientifique, il est établi que l’écoute d’une œuvre de Bach ou la découverte d’un poème de Verlaine peuvent modifier notre cerveau. “Des liens naissent entre les oeuvres d’art et ceux qui les écoutent ou les lisent, nourris de leur univers et de leurs interactions, observe Pierre Lemarquis. Toute œuvre d’art, comme toute rencontre, modifie nos circuits cérébraux qui s’enrichissent et en gardent la trace”.
Ces prescriptions culturelles font en quelque sorte “entrer de l’extérieur” à l’intérieur du patient et modifient sa vision du monde. Comme le dit le neurologue à propos notamment du poème : “Il nous fait sortir de notre cage en nous faisant ressentir de l’intérieur des choses qui nous transforment. Le principe même de la vie est basé sur ces échanges : elle est interaction permanente entre extérieur et intérieur, jour et nuit, pour les chinois Yin et Yang…sous peine de sclérose !”
Forte de ces découvertes, Laure Mayoud a crée l’association “ L’invitation à la beauté” (association loi 1901) présidée par Pierre Lemarquis et composée d’un comité scientifique diversifié qui travaille à travers plusieurs axes de recherche la question de la rencontre avec la beauté : comment celle-ci peut-elle soigner aux niveaux cellulaire, neurologique, psychologique, juridique ? De quelle manière aide -t- elle à prendre soin des personnes et plus particulièrement de celles fragilisées par une souffrance somatique et/ou psychique née de désordres médicaux, familiaux, sociaux, économiques ?
Un colloque de deux jours sur ce thème, animé de spectacles, performances artistiques et expositions aura lieu à Lyon les 18 et 19 novembre prochains.
Programme et inscriptions au colloque des 18 et 19 novembre 2021 ici
Merci infiniment Pascale pour la diffusion de cet article. Oui, cultivons la beauté !