haïkus de guerre

La fin d’une pandémie, l’arrivée du printemps… un certain répit se profilait à l’horizon. Mais le 24 février, les mouvements des troupes russes en Ukraine faisaient vaciller nos rêves d’harmonie. Oui, dans un pays ami, aux portes de l’Europe, une guerre était encore, à notre époque, possible. Comment était-ce possible ? Les haïkistes ont immédiatement réagi. Sur la toile et, notamment, les groupes Un haïku par jour et Coucou du Haïku, les nanopoèmes ont fleuri comme autant de voix de résistance et d’effroi à la folie rampante. En voici une brève sélection.

sombre annonce

On n’y croit pas, ou on ne veut pas y croire, mais à un moment la menace s’affirme. Et vient frapper notre esprit.

toujours au garde à vous
la fourche dans le compost
un bruit de bottes

Thierry Pélégry

infos du matin
toutes les conneries de la nuit
plongent dans mon bol

Bikko

invasion à l’est –
le coup de patte du chat
au bouquet fleuri

PS

Je pense alors à ce haïku de poète japonais, écrit en 1945…

le char de guerre avance –
Il écorche la terre
à grand fracas

Mitsuhashi Toshio

sidération

Comment  réagir à une telle absurdité ? D’emblée, on se tourne vers ce qui nous porte : le vivant. Le mouvement de la nature. Ce n’est pas du déni, mais un besoin de recourir à l’essentiel, nos forces vives.

annonce de guerre –
sans raison je regarde
l’hortensia

PS

sur toutes les chaines
les échos de la guerre et
pourtant le ciel bleu

Marie-France  Evrard

bruits de guerre
j’écoute
le merle

Coralie Creuzet

Un peu d’humour permet de sortir la tête hors de l’eau :

sanctions économiques –
feu ma grand-mère
et ses cigarettes russes

Laurence Faucher-Barrère

ici, c’est là-bas

Hélas, cela ne suffit pas toujours à calmer l’angoisse. Les évènements qu’on pense lointains prennent de plus en plus de place ici.

rafales –
mes pensées sans cesse
ramenées vers l’Ukraine

Pascale Dehoux

grand soleil –
ballade au bord de l’eau
dans la tête la guerre

Patrick Somprou

compassion

D’emblée on pense aux enfants, leurs enfants, nos enfants. On pense aux plus faibles, aux démunis. Comment supporter de les voir mêlés à tant de cruauté inutile ?

En 1945, les haïjins japonais mettaient déjà le focus sur ces premières victimes des raids aériens :

décombres de la guerre
sur un sol en ciment
des fillettes jouent à la balle

Nakamura Kusatao

Aujourd’hui, on craint d’emblée pour eux :

tête blonde
mon enfant
loin de Kiev

Sébastien Revon

Toutes les images nous y renvoient, même lorsqu’on parle d’animaux

ces chenilles qui grincent
jamais ne seront papillons
vent d’est

Bikko

Guerre en ukraine –
soudain la mésange semble
plus petite

PS

fuite de l’Ukraine
les oiseaux sans forêt
ont- ils où aller ?

Nadine Léon

dans le ciel immense
un drapeau bleu et jaune –
une mésange

Flo Fabrice Farque

espérance

Mais toujours, on peut croire en la paix. Celle qui s’incarne dans les lois humaines d’entraide auxquelles se rattacher encore :

le mimosa
s’unit au bleu du ciel
pensées pour l’Ukraine

Virginie Colpart

Les haïkus japonais présentés ici sont tirés de l’Anthologie Le poème court japonais d’aujourd’hui, traduits et présentés par Corinne Atlan et Zéno Bianu, parus aux éditions Gallimard.

Si vous avez aimé, partagez et propagez de la poésie.

Par Pascale Senk

Journaliste, auteure, éditrice spécialisée en psychologie, Pascale Senk se consacre à transmettre l’art et l’esprit poétique du haïku, qu’elle envisage comme une voie méditative.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *