Quand mon livre “Ciel changeant, haïkus du jour et de la nuit ” est paru, j’ai reçu de nombreux témoignages positifs voire enthousiastes de lecteurs, eu droit à de nombreuses recensions de collègues “ haïkistes ”, et même quelques articles de presse…Mais le retour le plus étonnant sur ma “ promenade poétique ” m’a été adressé par une chercheuse en neurosciences, Maïté Sauvet .
Si je vous transmets ici son témoignage sur mes haïkus, c’est parce qu’il intéressera ceux d’entre vous qui, de leur côté aussi, en lisent, et en écrivent avec passion. Ses thèses sont une confirmation de la valeur inestimable de cette micro-écriture. Certains penseront que cela n’a rien à voir avec la poésie…et pourtant…Ces analyses n’expliquent –elles pas aussi pourquoi nous avons tant de plaisir à faire rentrer ces nano-poèmes dans notre quotidien ?
une lecture impressionniste
Tout d’abord, Maïté Sauvet me fait des confidences personnelles qui offrent un regard “autre ” sur la lecture de haïkus.
“en ce qui me concerne, m’écrit-elle, la littérature et la poésie française m’ont souvent paru trop lourdes avec des phrases alambiquées et pompeuses. Il y a une raison à cela : tout en étant d’origine française et née en France, j’ai deux langues natales, le français et le vietnamien avec quelques touches de chinois.
Aussi je pense d’abord dans une construction de phrases et de mots faite de syllabes qui s’enchaînent les unes aux autres. Même en français, je pense d’abord suivant cette structure que je corrige pour parler, parce que, naturellement, j’ai senti ces langues comme beaucoup plus articulées, adaptables et subtiles que les langues européennes, et pour moi la communication y est plus développée, fluide et profonde. En lisant vos écrits, je me sens bien, je retrouve cette subtilité naturelle que j’aime.
en quelques mots : tout en utilisant une expression française, le sens des mots, les phrases et poèmes courts qui s’enchaînent sont comme une peinture impressionniste qui par touches successives produit une sensation ou encore des nuages qui se rapprochent ou s’étirent , créant un ensemble mouvant qui au fur à mesure des évolutions se prête à des interprétations différentes… ”
une attention suivie
Puis c’est vraiment la docteure en sciences et chercheuse, spécialisée en réseaux de neurones et fonctions d’apprentissage, qui s’exprime et relève des effets de la lecture de haïkus que beaucoup d’entre vous ont probablement senti sans toujours pu les expliquer.
“Tout d’abord, ces poèmes peuvent être un antidote à l’addiction aux écrans, en particulier concernant internet poursuit-elle. Dans l’ouvrage “La civilisation du poisson rouge”, Bruno Patino souligne la soi-disant étude de Google qui prétend que le temps d’attention des humains est de 9 secondes, soit une seconde de plus qu’un poisson rouge !!… En conclusion, il est nécessaire de solliciter en permanence les internautes pour capter leur attention et entraîner une dépendance… Heureusement les fonctions d’attention de l’être humain sont quand même plus élaborées que la vision réductrice qu’en propose Google ! Or les haïkus sollicitent l’attention de la personne de manière complètement voulue, fine et subtile et ce envers un environnement extérieur, naturel.
La lecture de ces poèmes établit un lien entre eux, donc un suivi de l’attention qui d’ailleurs évolue selon les perceptions du lecteur, mais ne crée pas de dépendance. On est donc dans un apprentissage des aires de l’attention très différent, parce qu’il s’associe à des perceptions et des émotions de nature différente. Car le principe des haïkus repose sur des perceptions et des émotions ressenties avec finesse et nuances dans le cadre d’une présence à la réalité. Ceci fait appel, entre autres, à une aire émotionnelle mise en évidence par Antonio Damasio (auteur de “l’erreur de Descartes”) qui permet à tout individu d’établir son échelle de valeurs décisionnelles et de prendre du recul par rapport à des émotions plus incontrôlables ”.
création de nouveaux neurones
“ j’ ai découvert derrière vos propositions d’haïkus, une réalité biologique dont la portée m’est apparue beaucoup plus importante que ce que j’aurais imaginé.
En résumé : nous avons des facultés d’adaptation étonnantes qui proviennent de notre capacité à développer de nouveaux neurones et des réseaux neuroniques. Ceci nous est particulièrement nécessaire pour gérer les difficultés que nous traversons en ce moment et relever les défis que l’avenir nous réserve.
Or cette faculté se développe principalement en modifiant certaines de nos habitudes. Votre livre va tout à fait dans ce sens. Cependant, il ne s’agit pas de lire trois poèmes et de s’arrêter là. (…) S’adapter c’est se créer de nouveaux apprentissages dans des directions constructives avec motivation et un réel d’intérêt, sinon ça ne marche pas.(…)
Votre démarche en proposant une nouvelle forme d’attention, de perception et d’émotions, le tout en prise avec le réel, offre une nouvelle voie permettant de se créer des nouveaux neurones. C’est une manière de trouver une nouvelle adaptation répondant aux besoins de changements éventuels qui nous habitent par rapport à notre vécu”.
J’avoue que ces remarques m’ont passionnée. Elles expliquent autant le côté “positivement addictif” de ma passion pour les haïkus, que la sensation de “neuf ” que j’en retire le plus souvent.
Et vous, qui lisez, et peut-être même écrivez des haïkus, qu’en pensez-vous ?
A lire
Pascale SENK « Ciel changeant, haïkus du jour et de la nuit », éd.Leduc
Maité Sauvet et Frédéric Collecchia
“Nos pouvoirs d’adaptation pour un nouveau monde, sous-titre : se créer des nouveaux neurones ”, à paraître le 27 mai aux éditions Marie B
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