Dans un monde où certains hommes, rapides à se déclarer “Papes du haïku”, taclent et jugent tout ce qui s’écarte de leurs dogmes, la poétesse Chiyo-Ni est inspirante et encourageante. Car elle a su s’imposer avec grâce et talent. En juin 2021, le magazine LIRE m’a commandé un article sur Chiyo-Ni pour son hors -série “101 auteures essentielles”. Le voici, écrit avec tout l’amour que j’ai pour cette haïjine si lointaine, et pourtant si proche.
“Une pure merveille”. Ainsi l’écrivaine Alina Reyes, dans son blog qualifie-t-elle le recueil de Chiyo-Ni découvert dans une bibliothèque municipale (2)
Normal : on sait la contemporaine férue de haïkus tout autant que de sensualité. Elle ne pouvait donc passer à côté de cette poétesse japonaise. Chiyo-Ni est l’une des rares “haïjins” –ceux qui écrivent des haïkus- femmes, et sans doute la seule à fasciner autant dans un genre largement dominé par les hommes.
Lorsqu’elle naît, en 1703, dans une petite ville de la Cote Est de l’archipel, le Japon est en pleine floraison poétique : un nouveau format, le haïku ou “poème bref” récemment codifié et défini par le maître Matsuo Basho, se répand et s’échange dans toutes les sociétés littéraires du pays. Le petit “17 syllabes”, poème de la fugacité et de la simplicité, est en train de détrôner la poésie classique de Cour. Chiyo-Ni a-t-elle largement profité de cette petite révolution poétique ? Sans doute, car l’encre, l’écriture et l’art lui sont familières dès son plus jeune âge. Elle est fille d’une sorte d’imprimeur, qui vend des rouleaux de calligraphie aux artistes et poètes de passage.
Femme d’écriture, entrepreneuse, fille, mère…et poète!
La poésie l’accompagnera tout au long de sa vie, et dans toutes ses métamorphoses de femme : fille dévouée, elle sera en charge de l’entreprise familiale dès la trentaine, quand ses parents meurent. Elle sera aussi épouse et mère (On pense qu’elle a vécu l’épreuve de perdre mari et enfant très tôt) et à l’âge de 52 ans, elle choisira de devenir bonzesse pour élever son art poétique à ce qu’il est dans ses racines mêmes : le versant littéraire d’une pratique spirituelle, le bouddhisme Zen. Lors de son ordination elle prend pour nom : “Soen ” ou “Jardin nu” .
Ces différentes facettes, pleinement vécues et assumées semble-t-il, ont été soutenues chez Chiyo Ni par un engagement sans faille pour la poésie qui lui a permis de voyager seule dans tout le pays ; de rencontrer les hommes, grâce à son statut d’artiste, sur un pied d’égalité ; de s’affirmer autonome tout au long de sa vie. Sa production poétique sera une source jamais interrompue : elle écrit ses premiers haïkus à l’âge de 6 ans, devient à 16 ans l’élève d’un disciple de Bashô, et dans sa maturité transmettra à son tour son art poétique . Même le grand Buson, qui considérait les haïkus de femmes comme “faibles et sentimentaux” finira par lui demander des préfaces.
Une poétesse de l’enthousiasme et de l’émerveillement
Pourquoi un tel engouement ? Il y a d’abord l’ enthousiasme sensoriel de Chiyo-Ni qui réveillerait les plus blasés. Tout au long de ses haïkus, ciselés comme de la porcelaine fine, elle diffuse son émerveillement face à la nature, nous contant l’ouverture des volubilis au son d’une cloche, le scintillement des pluies de printemps sur toutes choses, le vol des hérons tels des flocons de neige. Si cet émerveillement est un socle commun à tous les “ haïjins ”, il jaillit chez elle au cœur d’une épure bouleversante comme dans ces deux haïkus.
eau pure –
pas d’endroit
pas d’envers
laisse de mer-
tout ce que je ramasse
est vivant (2)
Il y a surtout sa légèreté, cette fameuse “karumi ” que le genre réclame, quand elle confie par touches subtiles ses vécus les plus profonds : son sentiment de solitude en contemplant les cerisiers sauvages, sa manière de se sentir femme quand elle change de kimono…jusqu’à son ultime haïku, le fameux “Jisei ” qui accompagne la mort de tout haijin
la source est fraîche
les lucioles s’éteignent
il n’y a rien d’autre
Rien d’autre, sinon la lumière poétique de Chiyo-Ni, qui ne cesse d’étinceler à travers les siècles.
Et vous? Quel haïku de Chiyo-Ni vous touche particulièrement ? Ecrivez-le moi en commentaire…
Un haïku de Chiyo-Ni qui me touche particulièrement…
Celui-ci :
Première neige –
ce que j’écris s’efface
ce que j’écris s’efface
Haïku tiré au sort lors de ma 1ère participation à l’un de tes ateliers. Il m’a accompagné pendant ce weekend de découvertes,
une page blanche offerte !
Oui merci chère céline, c’est l’un de mes préférés aussi, particulièrement fécond pour celui qui veut écrire des ha^kus! bonne journée à toi
« Le mois des lettres
En guise de réponse
une feuille tombe »
Présence immortelle Chiyo-Ni !
bonjour tinte-t-il
aussi juste qu’un haïku
de Chiyo-Ni ?
Un bonheur de parcourir votre site
Merci chère Françoise! heureuse que mon univers poétique vous touche
J’aime vraiment beaucoup
Premier neige
Ce que j’écris s’efface
ce que j’écris s’efface
qui met en évidence l’éphémère de l’instant présent. J’en ai trouvé un autre dans le même esprit que j’aime aussi et pour les mêmes raisons…
Elle devient fleur
elle devient goutte d’eau
la neige ce matin
Super ton blog Pascale, bravo !!
merci Françoise, je ne connaissais pas le second Il est effectivement puissant, épuré comme Chiyo Ni sait faire!
La voix de Chi-Yo-Ni est d’une pureté exceptionnelle, avec de temps en temps une sensualité délicate, comme ici :
le liseron du soir
la peau d’une femme
au moment où elle se découvre
Mon choix de haiku de cette merveilleuse haijin dans la mini-bio que je lui ai consacrée ici : http://www.manteaudetoiles.net/article-3610903.html
merci beaucoup Richard je découvre seulement maintenant votre bel article sur Chiyo Ni, il me réjouit et éclaire mon après midi! merci